Mgr Jacques Gaillot en 1995.Mgr Jacques Gaillot en 1995. • CHESNOT/SIPA

Mgr Jacques Gaillot en 1995.Mgr Jacques Gaillot en 1995. • CHESNOT/SIPA

Jacques Gaillot, l’ancien évêque d’Évreux dont l’éviction en 1995 avait créé une onde de choc dans l’Église française, est mort le 12 avril 2023, à 87 ans. Relégué par le Vatican à un diocèse fictif, Parténia, il avait su en faire le symbole d’un autre rapport entre le catholicisme et le monde.
Un évêque s’en est allé, sans jamais avoir officiellement pris sa retraite. La mort, le 12 avril 2023, de Jacques Gaillot, fameux ex-évêque d’Évreux brutalement évincé en 1995 et muté à Parténia, diocèse désaffecté de l’actuelle Algérie, a réveillé les souvenirs (souvent douloureux) de « l’affaire » qui porte son nom. Pourtant, le temps a passé… Au-delà des idées préconçues qui le précédaient souvent (« trublion », « rebelle », « progressiste »), de nombreuses voix ont rappelé que l’évêque médiatique et iconoclaste était aussi, et surtout, un prêtre certes libre mais fidèle, qui n’a jamais choisi la voie de la désertion ou du règlement de comptes avec l’institution qui l’avait mis au placard.
Une rupture inévitable ?
Insaisissable victime d’une querelle idéologique et médiatique qui le dépassait, l’homme, Jacques Gaillot, a fini par être enfermé dans la caricature d’une figure publique, Mgr Gaillot, et son lot de représentations ou de projections, positives comme négatives. La rupture, cette grande blessure dans l’histoire récente de l’Église catholique en France, était-elle évitable ? Quelle que soit l’institution, les électrons (trop) libres finissent souvent par être écartés. Récemment, on a vu d’autres personnalités ecclésiales brusquement limogées, pour des motifs plus ou moins clairs, sans toujours susciter la même émotion. Sans doute Jacques Gaillot témoignait-il, malgré lui, d’un malaise plus profond, d’un monde encore en gestation.
Le temps a passé, et autorise une relecture dépassionnée de l’épisode. À Évreux, l’évêque n’est pas exempt de critiques – beaucoup lui ont reproché de négliger son diocèse ou de trop faire cavalier seul –, certainement a-t-il souvent péché par imprudence avec les médias qui le sollicitaient ou les propos qu’il tenait. On soulignera même une grave faute dans son accueil en paroisse, en connaissance de cause, d’un prêtre pédocriminel. Mais peut-on rappeler tout cela sans le mettre en regard de son engagement constant en faveur de tous les exclus, des plus pauvres, des sans-papiers, des Palestiniens, des Roms, des homosexuels, des divorcés remariés ?
Jacques Gaillot témoignait d’un zèle évangélique aux marges, quitte à prendre le risque de se tromper – en langage d’aujourd’hui, il allait « aux périphéries »… On pense à ces mots du pape, dans Evangelii gaudium : « Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. » L’évêque renvoyait, au fond, l’Église à cet éternel dilemme : comment annoncer une foi plus inclusive sans pour autant renoncer à ce qu’elle soit un signe de contradiction ?
Un symbole de liberté
Il y a plus. De Parténia, ce diocèse fictif (dont on ignore d’ailleurs la localisation exacte), pensé par Rome comme une sanction, il a su faire un symbole de liberté, une lettre de mission implicite. En cela, son éviction portait aussi, involontairement, une force symbolique qui lui a laissé plus de champ que s’il avait été simplement mis au ban de l’épiscopat. Un diocèse sans églises : comment mieux manifester une Église qui sort pour aller directement rejoindre les gens ? Évêché sans paroisses, mais pas sans ouailles ; lieu d’accueil pour celles et ceux qui ne trouvent pas leur place dans le tissu ecclésial ordinaire.
Parténia, c’est l’utopie contre le territoire, la pastorale au-devant de la doctrine, l’humain par-delà l’institution, l’exception face à la règle, l’Église qui, parce qu’elle n’est nulle part, sait se rendre partout. Tiers-diocèse, lieu d’interface et de créativité pour rejoindre différemment le monde contemporain. En cela, ce siège épiscopal désormais vacant a du sens. C’est pourquoi l’on est en droit d’attendre un signe fort de la part du pape François : donner sans tarder un successeur à Jacques Gaillot.
Par Aymeric Christensen, directeur de la rédaction


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