« Sacerdoce » Que veut dire ce mot après Vatican II ?
19 oct. 2023SACERDOCE
Un mot qui s'affiche au cinéma
Il étonnant et intriguant de lire le titre de l'affiche d'un film qui sort cette semaine: "sacerdoce". Je sens derrière ce mot énigmatique pour beaucoup de français comme une revendication idéologique qui consiste à user d'un vocabulaire d'autrefois pour faire jeune et utiliser les armes de ce que les publicitaires nomment "disruption". Manière de casser les codes langagiers et sémiologiques pour mieux attirer l'attention.
Je ne sais pas ce que connote ce mot dans la tête des français. Mais je devine que le réalisateur du film, d'obédience évangélique, lui, sait que pour toucher l'œil et l'oreille des spectateurs, il faut avoir le courage, et même prendre le risque de remonter le courant d'une modernité enlisée dans les mots à la mode de la culture médiatique.
Le mot sacerdoce mérite un petit détour du côté de son sens originel dans les écrits bibliques, histoire de ne pas se laisser embarquer trop vite par la romance que veut bien nous montrer ce film. Disons pour faire simple que ce mot renvoie essentiellement à la vocation de tous les chrétiens à offrir leur vie au Christ. Il ne s'agit donc nullement d'une qualification de vocation et de mission pour l'exercice de la prêtrise. Ce sens sera investi bien plus tard lorsque le fossé entre le peuple de Dieu et ses représentants dits sacrés aura été creusé, générant une Église hiérarchique dont il était nullement question dans les deux premiers siècles de l'Eglise chrétienne.
L'occasion m'est donnée de rappeler les bases du ministère presbytéral, que beaucoup de théologiens après le concile Vatican II se sont interdits de qualifier de "sacerdotal", à cause de son enracinement dans une vision sacrale et hiérarchique qui n'a rien à voir avec la naissance des premières communautés chrétiennes.
Les évolutions parfois inquiétantes de l’Église, ces dernières années, auront pu, non pas être à l'origine, mais sûrement aggraver de façon significative la situation de crise dans laquelle elle se trouve depuis le choc terrible dans l'opinion publique des délits et crimes sexuels commis par des membres parfois éminents du clergé. Je pense à la virulente dénonciation du pape François lui-même du "cléricalisme" qui a abouti aux scandales pédo-criminels. Dans le sillage de certains théologiens (Maurice Bellet, Denis Vasse, Jean Rigal, Hervé Legrand, Joseph Moingt, Joseph Doré, Henri Bourgeois, Jean-François Noël, Daniel Duigou, François Boesflug...) j'ai souvent écrit dans la presse chrétienne pour dire ce que je pensais de certains choix ecclésiaux qui conduisaient, selon moi, à la déresponsabilisation des fidèles et à une mise en majesté sacrale du prêtre que je sentais dangereuse pour l'avenir de l’Église.
Le concile Vatican II avait pourtant remis les choses en bon équilibre dans son texte pastoral "Presbyterorum ordinis", mais dès la mi-mandat du pontificat de Jean-Paul II et surtout de la période Benoît XVI, des orientations pas toujours très explicites ont remis au goût du jour une vision du prêtre qui n'est pas celle des origines de l’Église et encore moins de la grande Tradition. Retour de la soutane, généralisation du col romain et du clergyman, crispations identitaires, retour à la liturgie du XVI eme siècle (Messe dite "extraordinaire" Pie V), intégrisme latent, volonté de reprendre en main les grands débats de société (mariage pour tous, avortement, euthanasie..) tout cela était en fait révélateur d'une conception de l’Église et notamment du prêtre qui faisait marche arrière.
Ce que j'écris en ce moment ici a été dit par les sociologues spécialisés en religions dans les années 80 et 90. Je pense notamment à l'ouvrage courageux de Danièle Hervieu-Léger sur la fin de la civilisation paroissiale et sur l'exculturation de la foi chrétienne. Je me souviens pourtant, en France, du très courageux Rapport Dagens, en 1996, qui voulait jeter les bases d'une Église ouverte à la modernité sans toutefois se perdre dans le dédale d'un progressisme dépassé. Ce Rapport puis la Lettre aux catholiques de France ont de fait été abandonnés face à la montée du traditionalisme et aux choix de deux papes qui privilégiaient le repositionnement social et clérical de l’Église au détriment d'une spiritualité ancrée au cœur des mouvements sociaux les plus positifs.
Si j'ai fait ce long détour, c'est pour aider à comprendre la finalité de ce film dont l'ambition est de restaurer une image publique et de consoler le peuple catholique éprouvé par les drames de la pédo-criminalité des représentants patentés de l'Eglise. Il faut se souvenir et le pape le répète souvent que si des prêtres ont pu manipuler et détruire la vie de jeunes enfants et adolescents, c'est aussi (Pas seulement bien sûr!) à cause de cette promotion d'une image d'un prêtre véritable représentant de Dieu sur terre. En tout cas perçue comme telle par une grande partie des catholiques les plus engagés. Vision hélas à l'opposé de ce qu'est l'authentique conception du prêtre qui n'est nullement l'intermédiaire entre Dieu, le Christ et les hommes, mais le prophète et serviteur privilégié d'une Église tout entière ministérielle. J'irai jusqu'à dire que cette théologie conciliaire du prêtre est en rupture avec une vision jupitérienne, druidique et sacrale, qui est souvent, et aujourd'hui plus que jamais, promue dans les cercles ecclésiastiques. Le prêtre est un homme, certes ordonné et donc "saint" au sens paulinien du terme, mais reste un homme pécheur. Il n'est pas "sacré" comme le laisse entendre le mot "sacerdoce". Sa mission et sa vocation n'en font pas un surhomme mais un Serviteur chargé de guider et d'assurer l'unité et la communion au sein de l’Église (1).
Un ami prêtre, aujourd'hui décédé, m'a un jour raconté le contenu de son stage annuel de formation à Rome. Alors que je lui demandais si les cours suivis avaient été à la hauteur de ses ambitions intellectuelles, il me répondit avec malice et ironie: "..J'étais responsable de la lingerie. Une bonne partie de mes journées consistait à faire le repassage de mes frères prêtres et religieux".
Je vous laisse sur cette expérience de vie qui reste pour moi une extraordinaire parabole de la fraîcheur évangélique qui m'aide à vivre chaque jour.
Marc Maronne
(1) "Il n’y a maintenant plus de médiateur terrestre entre Dieu et l’homme comme c’était le cas dans le cadre sacerdotal de l’Ancien Testament"
(1 Timothée 2.5).
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