Portrait du Père Jacques HAMEL par sa sœur Roseline et Samuel LIEVEN, Directeur du « Pèlerin »
17 mars 2025… « Jacques le grand absent, dont la présence affleure à chaque instant dans la conversation. La façon qu'il avait d'être le grand frère, l'oncle, le curé, le serviteur durant toute sa vie, continue d'illuminer la vie de Roseline. Dans la discrétion de son quotidien Jacques était l'homme du lien. Lien avec ses paroissiens, pour qui il laissait son portail ouvert jusqu’à une heure avancée malgré son grand âge. Lien entre Dieu et les hommes par la prière. Entre les Écritures et l'actualité, petite ou grande, qui lui parvenait par les journaux et les conversations avec son entourage
« Dieu sait si je l'ai observé durant toutes ces années, raconte Roseline en servant le café. Il avait ce don particulier de m'apaiser. On ne faisait rien d'extraordinaire, mais les conversations avec lui étaient toujours réfléchies, nourries par ses lectures et son intelligence. Face à notre lot quotidien d'épreuves et de souffrances, aux informations violentes qui nous perturbent sans cesse, il parvenait toujours à me pacifier. Jésus nous entend, disait-il. Jésus est bon. Il est toujours auprès de nous mais ce n'est pas une baguette magique. C'est à nous de vouloir changer le cours des choses, de nous améliorer. Et la prière que nous lui adressons est à reformuler chaque jour. »
Avec ses mots toujours si concrets et percutants, Roseline ne saurait mieux expliciter la veine historique et spirituelle où s'inscrivait la vocation de Jacques. Ordonné en 1957 dans un contexte de transformation profonde de l'Église et de la société après-guerre, le père Hamel fut le contemporain alors qu'il était jeune prêtre, d'un événement d’envergure mondiale, attentivement suivi et commenté dans l'ensemble du monde chrétien et au-delà : le concile Vatican II, réuni à Rome de 1962 à 1965, à l'initiative du pape Jean XXIII (1958-1963). Cette assemblée des évêques du monde entier, vingt et unième du genre depuis les débuts du christianisme, se donnait pour objectif d'adapter l'Église au monde moderne. En réponse aux bouleversements d'un siècle marqué par les grandes idéologies et les guerres mondiales, il s'agissait d'entrer en dialogue constant avec la société et les autres religions — en particulier le judaïsme et l'islam. Mais aussi, valoriser le rôle des laïcs, dépoussiérer la liturgie et reconnaître la liberté religieuse. Cette mise à jour en gestation depuis des décennies, il revint à la génération du père Hamel de la mettre en œuvre. Si le grand public en a surtout retenu l'abandon du latin à la messe du dimanche, c'est à un véritable changement de logiciel que le concile Vatican II a conduit.À ce grand virage de l'Église universelle, on peut relier quelques traits saillants de la personnalité de Jacques, son style de vocation. Ni dorures, ni triomphalisme, mais une présence humble, aimante et discrète. Pas de dogmatisme désincarné, mais une foi nourrie par la prière et enracinée dans le quotidien, ne craignant pas la rencontre avec le monde réel dans sa diversité. « La tolérance, c'est bien. La rencontre, c'est mieux. Le partage, c'est parfait » aimait-il répéter à ses paroissiens à la fin de la messe De ces prêtres jugés trop discrets, les générations suivantes, soucieuses de s'affirmer davantage face à la sécularisation, ont eu tendance à se démarquer. Parfois avec condescendance, rendant leurs aînés en partie responsables d'un « enfouissement » excessif de l'Église et de l'effondrement généralisé de la pratique et des vocations. Aujourd'hui, beaucoup en reviennent. Le martyre et la sainteté du père Hamel, en voie d'être officiellement reconnus, érige en exemple pour tous les croyants la manière dont ce prêtre sans fard a essayé « d'aimer les siens jusqu'au bout.(1) »
Face au couteau qui l'a déjà blessé une première fois le père Hamel ne désigne pas tant la personne de son agresseur que l'esprit mauvais qui en a pris le contrôle. Quantité de textes éclairants ont été publiés à ce sujet (2), mais c'est encore Roseline qui en parle le mieux. « En prononçant cette phrase juste avant de mourir, mon frère a libéré l'âme de ses assassins. » soit un authentique acte d'exorcisme, dont le grand public et les catholiques eux-mêmes avaient perdu la clé depuis longtemps. Cela n'a pas échappé au pape François, qui en a parlé à Rome devant Roseline et les pèlerins de Normandie dès le mois de septembre suivant.
Parmi les souvenirs qu'elle égrène après le repas, Roseline insiste sur l'admiration de son frère pour les moines de Tibhirine (Algérie). L'enlèvement et l'assassinat de ces sept religieux cisterciens en 1996, alors que le GIA (Groupe islamique armé) faisait régner la terreur dans le pays, avaient suscité un vif émoi dans le monde entier. En 2010, le film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, inspiré par la tragédie, rencontra un grand succès public et obtint le César du meilleur film. Il met en scène d'une manière bouleversante l'amour inconditionnel de ces hommes de foi pour le peuple auquel ils étaient « donnés Le testament spirituel laissé par leur prieur, le père Christian de Chergé, alors que celui-ci se savait menacé, est l'un des plus beaux textes jamais écrits par un chrétien en terre d'islam.« Jacques attendait toujours que les films passent à la télé. Mais pour voir celui-là, il est allé au cinéma. Cette question du dialogue, ça le travaillait. Il aimait participer aux rencontres interreligieuses avec la communauté musulmane de Saint-Étienne-du-Rouvray, dont la mosquée est mitoyenne de l'église Sainte-Thérèse. Il s'asseyait et il écoutait. Sa présence valait mieux qu'un discours. On a souvent reparlé de ce film ensemble, même lors de mon dernier séjour au presbytère. Il faut dire que la guerre d'Algérie l'avait tellement marqué... Je le revois dans son fauteuil, près de la fenêtre, mimant l'assassinat des moines : tu sais, c'est vite fait, ils te coupent les carotides comme ça, et pouf, tu meurs vite... »
(1) « Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'au bout », Évangile selon Saint-Jean, chapitre 13.
(2) Lire notamment « Va-t'en, Satan ! — Père Hamel par Guillaume Cuchet, dans revue-etudes.com
Livre de Samuel LIEVEN, Roseline HAMEL et Nassera KERMICHE « Sœurs de douleur » février 2025 240 pages xoeditions.com pages 185-190
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