L'enjeu missionnaire du travail au séminaire de la Mission de France par Xavier Debilly, responsable du séminaire
04 mars 2025Dans le langage des séminaires latins, une Ratio désigne le texte normatif qui fixe le cadre de la formation des séminaristes. En 2016, le pape François a publié une nouvelle Ratio fondamentalel, à charge pour les conférences épiscopales de chaque pays de s'en inspirer pour publier une Ratio nationale qui tienne compte des particularités propres au contexte local. Les évêques français se sont donc mis d'accord sur un tel texte en 2021. Intitulé Former des prêtres pasteurs et missionnaires, il fait loi pour tous les séminaires diocésains de France.
Or ce texte comporte un paragraphe spécifiquement consacré au séminaire de la Mission de France : « Le Séminaire de la Prélature de la Mission de France accueille des candidats qui se préparent à vivre, en France, le ministère des prêtres comme missionnaires dans les milieux les plus étrangers à la foi chrétienne, notamment par l'exercice d'une activité professionnelle3 . »
Ce paragraphe signale la reconnaissance du caractère spécifique de notre séminaire en soulignant la visée missionnaire de l'activité professionnelle des prêtres. Et qui dit visée, dit aussi moyens. Pourquoi et comment le séminaire de la Mission de France prépare-t-il des séminaristes à une vie de prêtres missionnaires dans et par leur travail ?
Après l'expérience interrompue des prêtres-ouvriers (1954), le concile Vatican Il a rouvert la possibilité pour les prêtres d'exercer un métier. À partir de la fin du Concile, des prêtres sont ainsi envoyés en mission dans le monde du travail. La question d'une activité professionnelle pour les prêtres est explicitement évoquée dans le décret conciliaire sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterorum ordinis (1965). Le travail n'y est pas évoqué comme un thème à part, mais il trouve sa place dans un chapitre consacré au presbyterium et intitulé « Union fraternelle et coopération entre prêtres ». Il y est question des prêtres (au pluriel) qui, comme collaborateurs des évêques, portent le même ministère (au singulier) selon des modalités d'exercice différentes :
« Certes, les tâches confiées sont diverses ; il s'agit pourtant d'un ministère sacerdotal unique exercé pour les hommes. C'est pour coopérer à la même oeuvre que tous les prêtres sont envoyés, ceux qui assurent un ministère paroissial ou supra-paroissial comme ceux qui se consacrent à un travail scientifique de recherche ou d'enseignement, ceux-là mêmes qui travaillent manuellement et partagent la condition ouvrière — là où, avec l'approbation de l'autorité compétente, ce ministère est jugé opportun — comme ceux qui remplissent d'autres tâches apostoliques ou ordonnées à l'apostolat. Finalement tous visent le même but : construire le Corps du Christ ; de notre temps surtout, cette tâche réclame des fonctions multiples et des adaptations nouvelles4 . »
Si nous mettons en relation ce texte avec celui des évêques de France sur les séminaires en 2021, nous constatons que l'horizon de « construire le Corps du Christ » est coordonné à l'exercice du ministère des prêtres « dans les milieux les plus étrangers à la foi chrétienne ». De cela il ressort que le travail des prêtres n'a pas sa finalité en lui-même, mais qu'il est ordonné à la mission et qu'il est une modalité de l'exercice du ministère presbytéral. Le travail n'est pas un « à-côté » du ministère, comme si on était prêtre seulement dans des activités pastorales au service des communautés rassemblées. Le travail n'est pas non plus un moyen de garantir l'équilibre personnel des prêtres... ou de subvenir par eux-mêmes à leur existence. L'activité professionnelle est le lieu où se cherchent les voies pour vivre la dimension missionnaire du ministère, à la suite des apôtres. La figure de saint Paul a joué un rôle important comme support à cette manière d'envisager l'exercice du ministère.
Cela est articulé avec une manière de comprendre et de vivre la mission. La mission des prêtres de la Mission de France qui ont un métier n'est pas l'occasion d'un prosélytisme intempestif. Elle se vit tout à la fois comme écoute, présence, dialogue, conversation, dans la patience et la confiance de ce que produira la rencontre, s'inscrivant ainsi dans la dynamique mystique et théologique dessinée par le Concile5. Il s'agit de participer à la vie du monde, comme travailleur et comme prêtre, là où l'Église rassemblée n'existe pas et où pourtant l'Esprit travaille.
Ceci posé, comment le séminaire de la Mission de France permet-il de discerner et de se préparer à cette vie de prêtre ?
Les moyens
Le séminaire a le même fondement que tous les autres séminaires : accompagner le discernement d'hommes qui envisagent d'engager leur vie comme prêtres et leur donner une formation qui les y prépare. Dans les Ratio, cette formation est qualifiée d'« intégrale », reposant sur quatre piliers. Ce ne sont pas quatre formations juxtaposées, mais une seule formation déclinée dans quatre dimensions : humaine, spirituelle, intellectuelle et pastorale. Le dispositif comprend les éléments communs à tous les séminaires : vie communautaire, célébrations, initiation à la prière personnelle et à la prière de l'Église, formation philosophique et théologique, retraites, formation à la vie affective et à la connaissance de soi, accompagnement spirituel, insertions, stages, etc. Mais ce dispositif traditionnel intègre aussi des éléments spécifiques pour discerner si la vie de prêtre de la Mission de France est un chemin possible et pour y préparer.
Tout d'abord, un séminariste de la Mission de France reste dans son lieu de vie et de travail pendant les deux premières années du séminaire. Il participe aux activités de formation en rejoignant le groupe pour des week-ends, des sessions, des retraites, en participant à une équipe de partage de vie et en ayant un accompagnateur spirituel. Le lieu de son travail n'est pas un décor ou une activité parallèle, c'est le lieu même de son discernement. C'est en situation professionnelle, en relation quotidienne avec des collègues et des supérieurs hiérarchiques, des patients, des élèves, des clients, des résidents, des usagers, que les séminaristes nourrissent leur relation au Christ, leur sens
de la mission et leur discernement quant au projet de peut-être devenir prêtre un jour. Dans l'accompagnement spirituel comme en équipe de partage de vie avec leurs pairs, ils relisent comment ce qu'ils vivent au travail interroge, confirme, renouvelle leur manière de répondre à la question qu'ils se sont posée de rejoindre la Mission de France et d'y vivre le ministère des prêtres.
Dès le début du séminaire, ils sont donc initiés à la vie d'équipe qui est la situation habituelle des membres de la Mission de France. La mission est une aventure communautaire, et pas une affaire de francs-tireurs. C'est en équipe que l'on se met ensemble à l'écoute de la parole et de l'Esprit, que l'on relit et authentifie ce que chacun vit dans la mission, que l'on s'interpelle mutuellement, que l'on élabore ensemble, au bénéfice de l'expression de la foi de l'Église dans les mots d'aujourd'hui, un discours sur le sens de ce qui est vécu sur le terrain de la mission. La vie d'équipe au séminaire prépare ainsi à l'envoi en équipe de mission. De plus, les séminaristes sont rattachés à une équipe de la Mission de France pour découvrir concrètement ce que vivent ensemble prêtres, diacres et laïcs de la Prélature.
Au bout de deux ans, si les séminaristes souhaitent avancer, ils quittent leur travail pour commencer l'étape des études à temps plein, de la vie communautaire et des insertions à Ivry-sur-Seine. Quitter son travail peut être un déchirement, surtout quand on l'aime et qu'on y vit de belles choses. C'est un moment décisif où chaque séminariste éprouve sa liberté et fait le point sur son désir et ses priorités. C'est à ce moment que se vérifie, pour chacun, sa conscience que l'Église ne va pas ordonner prêtre un maçon, un enseignant, un ingénieur, un ouvrier (ce qui l'enfermerait dans une logique de consécration d'existence) mais qu'elle ordonne un homme qui s'est rendu disponible et qui pourra être envoyé en mission dans tel ou tel secteur d'activité.
Pour autant, pendant cette période d'études, les séminaristes sont invités à cultiver des relations avec des personnes loin de l'Église... comme quand ils étaient au travail. Vivant à Ivry-sur-Seine, ils ont à habiter ce territoire en Participant à des activités pastorales mais aussi à la vie associative de la ville (aide alimentaire, soutien scolaire, alphabétisation, accueil des sans-papiers, activités sportives ou culturelles...). Ils deviennent ainsi des habitants de la ville en nouant des relations avec tous, chrétiens ou non. Par ailleurs, pendant un mois d'été, ils vont travailler dans un secteur d'activité qui n'était pas forcément le leur avant le séminaire (animation en Ehpad, maraîchage, vente, livraison de repas, hôtellerie, usine de recyclage...). Ils ont ainsi bien des occasions de découvrir la fécondité missionnaire de la rencontre du compagnonnage avec tout un chacun.
Dans la diversité des vocations et des parcours de formation, le charisme propre de la Mission de France continue d'interroger des jeunes chrétiens en quête de sens et d'engagement. Le séminaire est au service de leur discernement et de la maturation de leur projet.
Xavier DEBILLY
Notes :
1. Le Don de la vocation presbytérale, Bayard/Cerf/Mame, 2017.
2. Conférence des évêques de France, Ratio nationalis et ratio studiorum. Former des prêtres pasteurs et missionnaires, 2021 :
https://eglise.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/2/2022/04/2022_02_16_-Ratio.pdf
3. Ibid. 5 21
4. Presbyterorum ordinis 8.
S. Décret sur l'activité missionnaire, Ad gentes 10 : « L'Église, afin de pouvoir présenter à tous le mystère du salut et la vie apportée par Dieu, doit s'insérer dans ces groupes humains du même mouvement dont le Christ lui-même, par son incarnation, s'est lié aux conditions sociales et culturelles déterminées des hommes avec lesquels il a vécu. » ; Paul VI, Ecclesiam suam 67 : « L'Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L'Église se fait parole ; l'Église se fait message ; l'Église se fait conversation. »
À PROPOS DE L'AUTEUR
Xavier est prêtre de la Mission (le France. Il est responsable de la formation aux ministères ordonnés pour la Mission de France et il enseigne la missiologie à la faculté de théologie de l’Institut Catholique de Paris.
Source : LETTRE AUX COMMUNAUTES DE LA MISSION DE FRANCE n° 324 janvier-mars 2025 pages 83-88