Homélie de la messe pour les Migrants à Gaillon (Eure) dimanche 26 octobre 2025
19 oct. 2025Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (18, 9 14)
« En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts). Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : “Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.” Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !” Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
Homélie :
Depuis longtemps cette parabole du publicain et du pharisien me bouscule vraiment !
Le pharisien, à l’époque de Jésus, c'est celui qui va au temple, celui qui prie, qui pratique la justice, obéit à la loi jusque que dans les moindres détails.
Il se considère comme un homme juste qui n'a rien à se reprocher et - quelque part - c'est vrai !.
Le publicain - au contraire - est un collecteur d'impôts comme l’apôtre Matthieu. Il est donc moralement condamnable aux yeux des juifs parce qu'il est un « collaborateur » de l'occupant Romain. Nous savons bien, nous les enfants ou petits-enfants de ceux qui ont vécu pendant la guerre 39-45 que les collaborateurs de l'Allemagne nazie, étaient considérés comme des traîtres, comme des gens dépourvus d'honneur.
Dans cette parabole le pharisien dans sa prière ne s’adresse pas vraiment à Dieu il se contemple il énumère ses mérites , ses jeûnes, ses aumônes, sa bonne conduite et surtout il se compare : « je te rends grâce Dieu car je ne suis pas comme le reste des hommes qui sont voleurs, injustes, adultères ou encore comme ce publicain ». Le coeur de ce pharisien est plein de lui-même et par conséquent il est fermé à la grâce de Dieu.
Le publicain, lui, se tient à distance. Il n'ose même pas lever les yeux au ciel. Sa seule prière est un cri du cœur : « mon Dieu aie pitié du pécheur que je suis ». Il ne cherche pas à se justifier, il s'abandonne à la miséricorde. Jésus conclut que c’est le publicain qui est « justifié ». La justice aux yeux de Dieu n’est pas une question de performances mais une question d'attitude du cœur.
Aujourd'hui dans le diocèse d'Evreux nous célébrons la journée mondiale des migrants. Le publicain à notre porte c'est justement celui qui vient solliciter notre hospitalité, la reconnaissance de sa dignité. Ce migrant fuit la guerre, fuit la famine, fuit les catastrophes climatiques. Il vient chercher une vie meilleure. Le pape François et le pape Léon, à sa suite, considèrent que « accueillir l’étranger c’est accueillir le Christ lui-même ».
Nous sommes tentés parfois inconsciemment de prier comme les pharisiens : « Seigneur je te rends grâce car nous ne sommes pas comme ces migrants qui ne partagent pas notre culture, nos traditions qui ne parlent pas notre langue, qui viennent profiter de notre système. Nous nous sommes des gens établis, respectueux des lois, nous qui avons construit ce pays ». Cette prière est pharisienne car elle établit une frontière morale entre eux et nous. Elle juge l'étranger en fonction de ce qu'il n'a pas plutôt que de le voir pour qui il est : « une personne créée à l’image de Dieu, un frère ou une sœur en quête de dignité ».
Jésus nous appelle à l'attitude du publicain. Accueillir l'étranger ce n'est pas d'abord une question de moyens économiques logistiques - bien que ce soient des réalités essentielles - c'est d'abord une question d'humilité et d'ouverture.
Le publicain ne dit pas : « je suis digne », il dit : « Seigneur aie pitié ». Dans notre accueil des migrants l'attitude chrétienne n'est pas de dire : « Nous allons t'aider parce que nous sommes meilleurs et plus riches » - c'est la fierté des pharisiens. L’attitude chrétienne c’est de dire : « nous t’accueillons car devant Dieu nous sommes tous des publicains nous sommes tous des mendiants de la grâce ».Croyez-moi, moi
comme vous, nous sommes tous « pharisiens » !
Voici deux « confessions » personnelles qui l'illustrent bien :
- Il y a plus de dix ans j'ai aidé un ami Camerounais - je l'appellerai Jules – à avoir une régularisation à titre très exceptionnel. Grâce à ses papiers il a pu trouver du travail et fonder une famille. Je l'ai aidé à payer ses forfaits de téléphone. J'ai trouvé – et j'en ai été affecté - qu'il ne m'avait jamais vraiment remercié.
Eh bien – grâce à Jules – le Seigneur m'a donné une belle leçon : Quelques années plus tard Jules a accueilli et hébergé chez lui deux compatriotes qu'il avait rencontrés à la gare Saint Lazare à Paris alors qu'ils étaient SDF et qu'ils faisaient la manche !. Il les a pris chez lui, puis il leur a trouvé du travail. A leur tour ils ont pu avoir des papiers et construire leur vie ! Quel plus beau remerciement que le ciel m'a donné grâce à Jules !
- En 2024 nous avons aidé Hakeem qui venait du Nigéria qu'il a dû quitter parce qu'il y était en danger. Après avoir vécu un an ici à Gaillon au centre d'accueil des demandeurs d'asile en 2022-2023, après avoir été débouté par la Cour Nationale du Droit d'Asile, il s'est rapidement retrouvé à la rue où il a vécu pendant un an alors qu'il était malade. Il était privé de tous ses droits et en particulier de celui de pouvoir se soigner. Comment pouvoir se soigner quand on vit dans la rue ?
Grâce à notre obstination et à celle de son avocat, les autorités ont reconnu la nécessité pour Hakeem d'être protégé et puis d'être hébergé. Durant toute la période où Hakeem était en extrême précarité il n'a pas su prononcer un seul MERCI. Mais depuis qu'il est hébergé et protégé il m'adresse chaque semaine – et même trois fois par semaine – une prière de bénédiction ! Les pauvres nous évangélisent !
J'ai découvert – pharisien que je suis – que l'angoisse et les traumatismes peuvent altérer durablement la dignité d'une personne au point qu'elle soit dans l'incapacité de dire « Merci » !
Si nous voulons aimer – à la suite de Jésus – nous découvrons que l'amour est totalement gratuit !
L’étranger à notre porte, par sa simple présence, nous remet à notre juste place. Il nous révèle notre propre fragilité. Si les circonstances étaient différentes, ne serions-nous pas nous-mêmes des étrangers ? Nous sommes tous des voyageurs sur cette terre : l'étranger nous offre la chance de vivre de la grâce en nous appelant à la miséricorde et à l'humilité. Le migrant nous donne l’occasion de vivre la parole de Dieu et d’être nous-mêmes réceptacle de la grâce non par nos mérites mais par notre capacité à reconnaître en nous l'humanité vulnérable. Frère et sœur, l’humilité ne consiste pas à s'humilier, elle consiste à accepter que l’autre ait sa place légitime, non pas grâce à nous, mais grâce à Dieu. Aujourd'hui alors que nous prions pour les migrants adoptons ce regard du publicain ce regard humble qui voit la détresse de l’autre et s'écrie : « Mon Dieu, aie et pitié de moi pécheur et donne-moi la force d’ouvrir non seulement ma porte mais aussi mon cœur à l’étranger qui est mon frère ».
Denis Chautard
Prêtre de la Mission de France à Vernon (Eure)
Gaillon, le 26 octobre 2025
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