Exorcisme. Le père Berjonneau, en mission dans l’Eure, raconte la tradition de « chasseur » du démon
08 juil. 2021Aubevoye. Alors que l’image a été largement galvaudée par le cinéma de genre, les prêtres exorcistes continuent d’exercer. Il y a même un référent par diocèse français. Rencontre avec le père Berjonneau, désigné par l’évêque pour « chasser le démon de la vie des gens ».
Le père Jean-François Berjonneau, prêtre exorciste au diocèse d’Évreux
Évacuons tout de suite le cliché. Non, dans les prochaines lignes, vous ne lirez pas d’anecdotes à base de régurgitations verdâtres et de têtes qui tournent à 180º. Tout cela fait sourire le père Jean-François Berjonneau. L’Exorciste, le film d’horreur culte signé William Friedkin, il « l’a vu, il y a longtemps ». Et l’homme d’église n’a pas été plus ébranlé que ça par la représentation cinématographique de la lutte entre la foi et le Malin.
« Un travail d’écoute phénoménal »
Même depuis qu’il a pris sa fonction de prêtre exorciste, il y a à peine trois mois, pour le diocèse d’Évreux, il n’a pas vu de Regan débarquer dans sa paroisse en faisant bouger des meubles par l’esprit. « Mais, j’ai déjà été confronté au mal qui s’empare de quelqu’un », confesse l’homme de 77 ans dont cinquante de prêtrise. Il évoque là son passé pas si lointain d’aumônier des prisons. Trente-trois années à se rendre auprès de personnes condamnées, parfois pour des actes horribles : « Bien sûr, il y en a qui ont franchi la ligne jaune en connaissance de cause. mais combien m’ont demandé « Qui je suis pour avoir fait ça ? », combien n’ont pas compris ce surgissement de violence ? ». Trois décennies à développer « un travail d’écoute phénoménal. Ça m’a mis en disposition pour être exorciste », note-t-il encore.
Si tous les prêtres passent par cette ordination, un seul est désigné par l’évêque « pour chasser le démon de la vie des gens », détaille encre le père Berjonneau en mettant son téléphone en silencieux. Voilà trois fois qu’il sonne en dix minutes : une personne qui l’appelle quasi quotidiennement, tourmentée et persuadée qu’une entité lui veut du mal. « Le travail du prêtre exorciste est directement dirigé dans le combat contre le Malin, celui à l’origine du mal, qui se manifeste de manière différente. Mon but est d’aider les personnes à se libérer des tourments qui les habitent. À 80 %, c’est du travail d’écoute. Le reste, de la prière. »
« Parfois, on n’a pas d’explication »
Vous vouliez une mise en scène spectaculaire, un curé qui psalmodie en latin en sortant des fioles d’eau bénite de sa sacoche en cuir élimée ? « Ah, si l’eau bénite, on s’en sert. Mais on prend de l’eau du robinet que je bénis sur place », relativise, espiègle, le prêtre officiant à Aubevoye. La séance consiste surtout à « s’adresser à Dieu et au Christ pour qu’il protège cette personne et qu’il rétablisse la confiance. »
Et si on lui a bien parlé de quelques « phénomènes » inexplicables comme, oui, des meubles qui bougent et fait écouter « des enregistrements » sur lesquels il a entendu des mots, il ne remet jamais en cause la sincérité du témoignage ni n’évoque des paréidolies ou des hallucinations. « Je ne mets jamais le soupçon sur un témoignage et l’on sait que, parfois, on n’a pas d’explication », tranche l’homme de grande foi, à la spiritualité inspirée par Charles de Foucauld. Des principes qui le guident vers l’universalité et la tolérance depuis ses débuts de coopérant en 1964 dans l’Algérie nouvelle.
« Qu’est ce qu’on a fait au Bon Dieu ? »
Toutes ses expériences, tant de prêtre-ouvrier que de membre de la commission épiscopale pour l’immigration, l’accompagnent aujourd’hui dans cette nouvelle mission en apparence si surannée. « Vous savez, la plupart des gens qui font appel à un prêtre exorciste sont dans une spirale de mauvaises nouvelles, ils ont l’impression que le sort s’acharne… Ils se disent… C’était quoi déjà le titre de ce film ?, interroge-t-il. Oui, c’est ça, « Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? » ! » Si l’on s’attendait à évoquer le cinéma avec le père Berjonneau, spontanément, ce n’était pas la comédie avec Clavier qui nous venait en tête. Comme quoi, les voies du Seigneur…
La confidentialité, c’est sacré
Sur les rituels pratiqués, le père Berjonneau demeure discret. La confidentialité des échanges autour des problèmes rencontrés, c’est sacré. Et si rien ne filtre sur les appels qu’il a reçus, il indique seulement avoir eu à intervenir « une douzaine de fois en trois mois ».
« Je ne suis pas seul à intervenir. Je suis avec un moine du Bec-Hellouin et des laïcs », indique-t-il. Perte de sens, de repère, « la conjoncture actuelle avec la pandémie et l’inquiétude environnementale est génératrice de grandes inquiétudes, analyse Jean-François Berjonneau. Le message, c’est surtout de dire que la vie vaut la peine d’être vécue. »
Ces interventions peuvent crisper les non-croyants. Le curé n’en a cure. « Dans la période actuelle, plein de voyants, de marabouts, font du business de ça », regrette-t-il. Les interventions du prêtre d’Aubevoye, elles, sont totalement gratuites. Et ne promettent rien. « La foi, c’est entrer dans une nouvelle confiance. Quand on n’a plus confiance, c’est l’enfer ! »