La Méditerranée est devenue une «fosse commune»
17 févr. 2023A Bordeaux lors du Climat Libé Tour, François Thomas, président de SOS Méditerranée, et Najat Vallaud-Belkacem, présidente de l’association France Terre d’Asile, ont évoqué la situation dramatique des migrants lors de la traversée.
«C’est un compteur infernal. Hier encore, douze personnes sont décédées en Méditerranée», déplore François Thomas, le président de SOS Méditerranée, à l’occasion de la conférence intitulée «Le défi de la crise migratoire en Méditerranée» samedi à Bordeaux. Il s’agit de drames qui touchent des êtres humains qui nous ressemblent. «La mer Méditerranée est la route migratoire la plus meurtrière du monde, a renchéri à ses côtés Najat Vallaud-Belkacem, présidente de l’association France Terre d’Asile. Depuis 2014, près de 25 000 personnes sont décédées en tentant de traverser la Grande Bleue. «Ce chiffre est certainement très en dessous de la réalité», prévient-elle, «il y a beaucoup de personnes qui disparaissent en mer sans témoin». La Méditerranée n’est donc pas un «cimetière», mais une «fosse commune», ajoute François Thomas. Un constat glacial.
«On se sent complètement démuni en tant qu’ONG», admet l’ancien marin. A qui la faute ? «Le principal responsable de ces drames est l’Union Européenne», dénonce sans hésiter Najat Vallaud-Belkacem. L’ancienne ministre - qui a écrit une chanson sur les exilés intitulée («Lampedusa» écouter ci-dessous) pointe du doigt le manque de solidarité envers l’Italie. En 2013, après le naufrage ayant entraîné le décès de 366 personnes au large de l’île de Lampedusa, l’Italie avait lancé l’opération Mare Nostrum pour secourir en mer les naufragés. «L’Union européenne aurait dû soutenir et continuer cette opération», regrette celle qui était porte-parole du gouvernement français à l’époque. Frontex, l’agence de l’UE composée de gardes-côtes, ne remplit pas cette mission.
Les arrivées de personnes migrantes ont commencé à augmenter de manière importante à partir de 2011 et du Printemps arabe. L’instabilité politique dans des pays nord-africains, comme en Libye après la chute de la dictature, poussent de nombreuses personnes à l’exil. «Plusieurs enquêtes accusent Frontex, la Libye ou encore la Grèce de ‘‘push-back’', c’est-à-dire de renvois illégaux de migrants», appuie Najat Vallaud-Belkacem.
«Désengagement» des Etats
Najat Vallaud-Belkacem dénonce le «désengagement» des Etats qui «multiplient les lois pour empêcher les ONG de travailler en les accusant d’être les complices des passeurs», confirme François Thomas. Le dernier projet de loi immigration, présenté il y a quelques jours en Conseil des ministres, inquiète les associations, dont SOS Méditerranée. En Italie, un récent «décret sécurité» va considérablement faire obstacle aux ONG pour porter secours à des naufragés, en leur assignant des ports de débarquement très éloignés des zones de sauvetage. Et la crise énergétique s’en mêle. «Nos coûts de carburants pour les bateaux humanitaires ont doublé», constate avec effarement François Thomas. «Plus le port de débarquement est loin, plus le temps manque pour retourner en mer et sauver d’autres personnes», s’insurge-t-il. L’Ocean Viking, le navire humanitaire de SOS Méditerranée, a été récemment au cœur d’un bras de fer politique entre l’Italie et la France, les deux pays refusant de faire accoster le bateau.
Sacha, présent dans le public, témoigne. Ses grands-parents habitent près de Toulon où s’est amarré l’Ocean Viking, après vingt jours bloqué en mer, avec plus de 230 rescapés à bord. «J’ai été écœuré par le mépris et la haine des habitants», avoue-t-il. «Comment lutter contre ce rejet ?», demande désabusé le jeune homme aux conférenciers. Najat Vallaud-Belkacem et François Thomas répondent d’une seule voix : il faut «se rencontrer». L’ancienne ministre de l’Education encourage sans surprise l’école à informer sur les migrations. Son plaidoyer résonne d’autant plus qu’elle le prononce ce jour à l’université de Bordeaux.
Tous réfugiés climatiques demain ?
Najat Vallaud-Belkacem interpelle le public : «Qui a vu la série l’Effondrement ?» Une dizaine de mains se lèvent parmi la centaine de personnes présentes. «Je ne veux pas inquiéter les bordelais, mais en 2100, votre ville sera certainement inondée», annonce-t-elle. Silence et frissons dans la salle. Un spectateur brise le silence avec ironie : «Ben oui ! Ce n’est pas par hasard que la ville s’appelle Bordeaux.»
Les Bordelais seront-ils prochainement des réfugiés climatiques ? «Le climat risque d’apporter des problèmes supplémentaires à la question migratoire», explique Najat Vallaud-Belkacem. Fonte des glaces, montée des eaux et désertification, les populations du Sud sont les plus confrontées à ces phénomènes. «Pour le moment, les migrations se font surtout du Sud vers le Sud, mais, à l’avenir, on sera confronté à davantage de migrations du Sud vers le Nord», constate la présidente de France Terre d’Asile. Pourtant, le statut de réfugié climatique n’existe pas dans la législation française et internationale.
«Nous sommes capables d’accueillir dignement tous les migrants. Nous l’avons prouvé avec les Ukrainiens», assure-t-elle. «Pourquoi traite-t-on les réfugiés syriens différemment ?» demande-t-elle au public. Tonnerre d’applaudissements…
Lucile Coppalle et Isabelle Veloso Vieira, élèves de l'IJBA
publié le 8 février 2023 à 17h36