Le pape François, rockstar d’une certaine diplomatie humanitaire
30 avr. 2025Photo: Gianluigi Guercia Agence France-Presse Le pape François lors de sa visite à Bangui, capitale de la République centrafricaine, en 2015
Après mon année préparatoire en médecine à l’Université McGill, j’ai tout fait pour trouver un stage médical dans un pays à bas ou moyen revenu. J’ai écrit à des centaines d’hôpitaux à l’étranger ainsi qu’à des congrégations religieuses ayant des missions en dehors du pays, j’étais prête à faire n’importe quoi, même de l’entretien ménager.
C’est finalement la congrégation des Sœurs missionnaires de Notre-Dame d’Afrique qui m’a accueillie pour trois mois au Tchad, à l’été 1987. Avec la bouche en cœur, mes Birkenstock et mon sac à dos, je suis partie dans le sud du pays, dans la région de Moundou.
J’ai vécu dans la congrégation, j’ai travaillé dans un dispensaire médical et j’ai fait des cliniques mobiles à vélo avec ces sœurs missionnaires. Ç’a été un stage exceptionnel. Mais ce qui m’avait marqué, c’est que, chaque semaine, les sœurs écrivaient une missive au Saint-Siège du Vatican pour l’informer de la situation politique.
Ce dernier est le gouvernement central de l’Église catholique, dont le siège est à la Cité du Vatican. Et le pape est leur figure de proue. Avec un sourire en coin, les sœurs m’ont dit que le Vatican était probablement l’une des entités gouvernementales les mieux informées sur la planète.
Espoir
Durant une longue période, je n’ai pas suivi les postures du Vatican de près, mais je me suis farouchement opposée à sa psychorigidité face à l’emploi des condoms pour freiner l’épidémie de VIH / sida. Quelquefois, je me laissais emporter en disant que cela pourrait presque relever d’un crime de guerre. Rappelons que plus de 42 millions de personnes sont décédées du VIH / sida jusqu’ici.
Au-delà de son soutien indéfectible envers les migrants et les plus vulnérables, trois événements m’ont particulièrement marquée lors du pontificat du pape François. Il a été, avec le Vatican, l’artisan central de la reprise de communication entre les États-Unis et Cuba en 2014. Il a écrit directement à Barack Obama et à Raúl Castro en lançant un appel personnel « à résoudre les questions humanitaires d’intérêt commun, y compris la situation de certains prisonniers, afin d’engager une nouvelle phase dans les relations entre les deux parties ».
Mais ce qui m’a le plus touchée, c’est sa visite en République centrafricaine (RCA), théâtre d’un coup d’État par la rébellion Séléka le 24 mars 2013 et d’un gouvernement de transition en 2014. Il y a eu d’immenses tensions intercommunautaires récurrentes, souvent simplifiées par un narratif de fractures physiques interreligieuses.
La RCA a été un violent « Far West » et demeure instable. Je me souviendrai toujours, lors d’une de mes visites au pays, de la réponse d’un de nos soignants quand j’avais demandé quoi dire au breffage des diplomates de New York et de Genève : « Dites-leur qu’il faut restaurer un minimum de sécurité, pour que nos mamans puissent retourner dormir la nuit dans leur maison au lieu de se réfugier dans la noirceur de nos forêts. »
Le pape François s’est rendu à Bangui, capitale de la RCA en novembre 2015. Toujours dans une période extrêmement tendue, le souverain pontife a visité un quartier majoritairement musulman où aucun chrétien n’osait s’aventurer et est allé jusqu’à la mosquée. C’était un geste brave et symbolique incarnant une possible réconciliation.
Cela n’a pas tout réglé, mais ç’a été porteur d’espoir dans ce chaos de violence inédite. Le pape visitera d’autres pays en conflit par la suite, notamment le Soudan du Sud et la République démocratique du Congo.
Intelligence artificielle
Et l’été dernier, le pape François a participé au G7 dans les Pouilles, en Italie, où il a fait un discours sur l’intelligence artificielle (IA). Comme beaucoup, il a dit craindre la portée de cet outil sur l’avenir de notre humanité. Le pape concluait son propos ainsi : « Il appartient à chacun [de] faire bon usage [de l’IA] et à la politique de créer les conditions pour que cet usage soit possible et fécond. »
Il demeure que le pape François a utilisé tout le poids de sa fonction et son autorité morale pour dénoncer des situations, décrier le non-respect de la dignité humaine et appeler à la paix. Il aurait pu faire le minimum syndical et s’en tenir à un rôle pontife sclérosé dans des habits de gala papaux.
Il a fait six fois partie de la liste du magazine Time des cent personnes les plus influentes de la planète. En fait, il a été la rockstar d’une certaine diplomatie humanitaire, celle de notre humanité commune. En espérant que le prochain conclave poursuivra cette tendance. Une nécessité en ces temps troubles.
Docteur Joanne LIU
Joanne Liu est une femme médecin québécoise née à Québec le 4 novembre 1965. Elle a été présidente de l'organisme Médecins sans frontières (MSF) de juin 2013 à septembre 2019[1].
Joanne Liu est pédiatre à l'hôpital Ste-Justine de Montréal depuis 2000[2] et au Centre hospitalier de l'Université de Montréal[3]. Elle est également professeur associé à l'Université de Montréal[4].
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