Que reste-t'il de la démocratie ? par Christopher Laquieze

Quatre ans de prison dont deux ferme, 100 000 euros d’amende, et cinq ans d’inéligibilité.

Mais ce n’est pas la condamnation qui est la plus frappante. C’est la réaction.

A peine le jugement rendu, un autre discours a éclaté : celui de l’"injustice", du "complot", de l’"attaque contre la démocratie".

Et là, une question se pose :

À partir de quand un acte illégal, s’il est porté par une figure politique populaire, cesse-t-il d’être un crime… pour devenir un acte légitime aux yeux d’une partie du peuple ?

Car ce n’est plus seulement la justice qu’on conteste. C’est son droit même à exister face à la ferveur électorale.

On entre ici dans une zone philosophique troublante. Celle de la collision entre la légitimité démocratique (ce qui est validé par le suffrage) et la légitimité juridique (ce qui est encadré par la loi).

Peut-on voler de l’argent public… et prétendre représenter le peuple ?

Peut-on être condamné… et incarner malgré toute la volonté générale ?

Dans un régime démocratique, ces deux légitimités sont censées coïncider. Le peuple élit ceux qui le servent, et ceux qui transgressent les règles sont exclus du jeu.

Mais que se passe-t-il lorsque ces deux logiques se contredisent ? Lorsque la légalité et la popularité se font face ? Lorsque le peuple acclame celui que la loi condamne ?

Ce n’est pas une crise judiciaire. C’est une crise de sens.

Nous croyons encore que la démocratie repose sur le choix du peuple. Mais ce que nous oublions, c’est que ce choix n’a de valeur que s’il s’exerce dans un cadre normatif stable.

La démocratie n’est pas simplement la loi du plus grand nombre. C’est aussi la soumission de tous — gouvernants comme gouvernés — à des principes partagés, à une idée de justice, à une certaine rigueur morale.

Quand une société commence à considérer qu’un vote peut absoudre un crime, elle ne défend plus un régime démocratique. Elle glisse vers un régime plébiscitaire, où la majorité sanctifie tout ce qu’elle aime.

On ne juge plus les actes, on juge ceux qui les commettent. Si je t’aime, tu as raison. Si tu gagnes, tu es légitime. Et si l’on te condamne, c’est que la justice est corrompue.

On assiste alors à un basculement du langage :

la loi devient "politique",
la faute devient "persécution",
le coupable devient "victime".

Ce déplacement est fatal : il ruine toute idée de responsabilité.

Des milliers d’années auparavant Platon s’en était inquiété dans la République. Lorsque le peuple commence à voir les règles comme des obstacles à sa volonté, lorsqu’il se détourne de la justice parce qu’elle contrarie ses désirs immédiats, la démocratie dégénère.

Non pas en dictature, mais en post-démocratie où l’émotion collective prime sur le droit et où l’adhésion populaire efface toute exigence morale.

La vraie question n’est donc pas :

Marine Le Pen peut-elle encore se présenter ?

Mais :

Une société peut-elle rester démocratique quand elle choisit de glorifier ceux qui ont trahi les règles… simplement parce qu’ils sont aimés ?

Il ne s’agit plus seulement de Marine Le Pen. Il s’agit de savoir si nous défendons encore un idéal de justice, ou simplement le droit sacré d’un peuple à sanctifier ses idoles — même quand elles ont trahi l’intérêt général.

Et cette question-là, nous concerne tous. Car elle touche à la racine même de ce que nous appelons encore — par habitude — la démocratie.

Christopher Laquieze
Philosophe, Essayiste et Ecrivain

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