QUATRE QUESTIONS POSÉES PAR LES ÉMEUTES DE JÉRUSALEM-EST

Le calme est revenu mardi à Jérusalem-Est, mais l’atmosphère reste tendue. La partie palestinienne de la ville, annexée et occupée par Israël, est en proie depuis quelques mois à des troubles qui se sont aggravés jusqu’à faire craindre une troisième Intifada.

Quelles sont les origines des troubles ?

Depuis le début du mois de juillet, juste avant l’opération « Bordure protectrice » lancée par l’armée israélienne dans la bande de Gaza, Jérusalem-Est est en proie à des émeutes régulières entre de jeunes Palestiniens, dont de nombreux mineurs, et les forces de l’ordre israéliennes, essentiellement la police aux frontières.

L’origine se situe dans l’enlèvement en Cisjordanie de trois jeunes juifs par des sympathisants du Hamas, dont les corps ont été retrouvés après trois semaines de recherches, puis l’assassinat début juillet d’un Palestinien de 16 ans à Jérusalem-Est, brûlé vif par des colons en guise de vengeance.

Depuis, la tension n’est jamais retombée. La ligne de tramway qui traverse Jérusalem a notamment été la cible de projectiles réguliers, dans les quartiers arabes. Mais cette crise larvée, largement ignorée par le reste du pays, s’est transformée en crise ouverte la semaine passée. Le 22 octobre, un habitant du quartier arabe de Silwan, à Jérusalem-Est, Abdel Rahman Al-Shaloudi, a précipité sa voiture contre des passagers patientant à la station du tramway près de Ammunition Hill, le 22 octobre. La vidéo de surveillance semble montrer son intention de nuire, la voiture n’essayant jamais d’éviter les victimes.

Un bébé de trois mois, de nationalité américaine, est mort quelques heures plus tard. Une touriste équatorienne de 22 ans a aussi succombé à ses blessures dimanche. Le conducteur a tenté de s’échapper à pied, après avoir heurté un poteau, mais a été tué par les policiers. Le quartier général de la police israélienne se trouvait à quelques centaines de mètres à peine des lieux du drame. L’appartenance de Abdel Rahman Al-Shaloudi au mouvement islamiste nationaliste du Hamas, ainsi que ses séjours précédents en prison, ont été très vite révélés aux médias.

Quelle est l’ampleur des violences ?

Le quotidien de gauche Haaretz n’hésite pas à parler d’« Intifada municipale ». Depuis cinq jours, des échauffourées ont éclaté dans différents quartiers arabes de Jérusalem-Est, à Beit Hanina, Shoafat, Isawiyah, Ras Al-Amud, dans la vieille ville près de l’esplanade des Mosquées et surtout à Silwan, épicentre des troubles, juste en contre-bas de la vieille ville. La famille d’Al-Shaloudi a attendu plusieurs jours que le corps lui soit remis pour les funérailles, les autorités israéliennes multipliant les conditions (horaires nocturnes, nombre de personnes présentes) pour limiter les risques de dérapage. Des dizaines de personnes ont été arrêtées par la police. La nuit, à Jérusalem, le bruit régulier de détonations se fait entendre.

En Cisjordanie, un garçon de 14 ans a été tué par balle par des soldats israéliens vendredi lors d’affrontements. Selon l’armée, il s’apprêtait à envoyer un engin explosif sur la route, forçant une unité à proximité à ouvrir le feu. Les proches de l’adolescent, né à la Nouvelle Orléans et arrivé en Cisjordanie à l’âge de 6 ans, contestent cette version des faits.

Comment ont réagi les autorités israéliennes ?

En deux temps. Dans les heures qui ont suivi le drame d’Ammunition Hill, le gouvernement a dénoncé un acte terroriste, en rendant responsable aussi bien le Hamas que l’Autorité palestinienne. Le premier ministre, Benjamin Nétanyahou, a mis en cause son président, Mahmoud Abbas, pour avoir appelé les Palestiniens à défendre par « tous les moyens » le Mont du Temple contre les visites de juifs orthodoxes. L’accès au lieu saint a été limité par les Israéliens aux Palestiniens de plus de 40 ans. « Nous assistons à la faiblesse de la communauté internationale contre ces actions du président de l’Autorité palestinienne, a assuré M. Nétanyahou. Ils ne sont pas prêts à lui adresser deux mots critiques, ou rien qu’un seul. » Après une rencontre avec les responsables de la sécurité, le cabinet du premier ministre a fait savoir que « la souveraineté serait mise en œuvre dans tous les quartiers de la ville par le déploiement de forces supplémentaires ». Des centaines de policiers sont arrivés en renforts. Des moyens de surveillance aériennes ont été aussi mobilisés.

Alors même que les émeutes se poursuivaient, le cabinet du premier ministre a ensuite annoncé, lundi matin, l’étude du plan de construction de 1060 logements dans les quartiers juifs de Ramat Shlomo et de Har Homa, à Jérusalem-Est. Les détails n’ont pas été communiqués. Selon la presse israélienne, il ne s’agirait pas d’une initiative nouvelle, mais de la réanimation d’un plan ancien. L’annonce vise d’abord à rassurer la base radicale de la coalition gouvernementale et les organisations de colons, qui espèrent la construction de milliers de logements neufs en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Elle a été perçue comme une escalade et une provocation par les Palestiniens. « Nous avons construit à Jérusalem par le passé, a rétorqué M. Nétanyahou mardi à Ashdod, nous construisons en ce moment même à Jérusalem, et nous continuerons à construire à Jérusalem. » Lundi, s’exprimant devant la Knesset à l’occasion de la rentrée parlementaire, le premier ministre avait lancé : « Les Français construisent à Paris, les Anglais à Londres, les Israéliens à Jérusalem. Devons-nous dire aux Juifs de ne pas vivre à Jérusalem car cela va provoquer des choses ? »

Quelles ont été les réactions internationales ?

Les Etats-Unis ont une nouvelle fois condamné les projets de construction du gouvernement israélien. « Nous considérons les activités de colonisation illégitimes et nous nous opposons sans équivoque à toute décision unilatérale qui fait du tort à l’avenir de Jérusalem », a déclaré la porte-parole du département d’Etat, Jennifer Psaki. « Les dirigeants israéliens ont affirmé qu’ils soutiendraient un chemin vers une solution à deux Etats, mais ce type d’action serait incompatible avec les efforts de paix », a-t-elle ajouté. L’Union européenne a appelé Israël à « revenir d’urgence » sur cette décision qualifiée de « peu judicieuse et inopportune ».

De son côté, la Jordanie, membre non-permanent du Conseil de sécurité qui intervient souvent comme un porte-parole des Palestiniens, a demandé lundi que les 15 membres du Conseil se réunissent d’urgence pour discuter des projets de construction israéliens à Jérusalem-Est, annexée par les Israéliens depuis 1967, occupée en contradiction avec le droit international.

Par Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant)

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