La Paix, un combat de chaque jour en République Centrafricaine

Témoignage d’André NGAMI habitant d’un village au Nord de Bangui

« Je vis dans un village situé au Nord de Bangui. Dans ce village, nous vivons l'entrée et la sortie de toutes les bandes armées. C'est un lieu aussi où chrétiens et musulmans nous vivons ensemble. C'est un lieu de pâturage pour les troupeaux de bœufs, et on trouve aussi des cultivateurs. Ceux qui amènent de très loin les troupeaux pour la vente à Bangui, ce sont les « Peuls ». Ils sont du Nord, ils sont musulmans. Les cultivateurs, eux, sont des bantous, qui restent au village. Ils sont chrétiens.

Mais la crise militaro-politique que le pays a connu a fait que la cohabitation entre les deux communautés devienne très difficile. La communauté musulmane était faite d'hommes qui s'étaient installés chez nous depuis des années. D'autres étaient mariés avec des femmes du village, devenues musulmanes. Au temps de la rébellion Seleka de 2013, un colonel nous avait protégés tous contre ses compagnons mercenaires : il était né au village, et sa maman était d'une famille chrétienne, nous avons été épargnés.

Avec la deuxième rébellion Antibalaka de 2014, les musulmans ont été obligés de quitter le village. Les rebelles venant de loin, ils ne voulaient rien savoir des relations qui existaient entre nous. Le danger approchant, les voisins les ont aidé à fuir dans la brousse. Malheureusement leurs maisons ont été détruites après.

Moi, je suis chef de chœur et artiste musicien. Avant cette crise, on chantait ensemble avec les musulmans qui faisaient partie de notre groupe : Hissène et Mahamat étaient chanteurs, Ibrahim le leader, à la guitare solo, André, à la basse, Dieu-béni, à la batterie, Paul. Notre groupe animait les fêtes des villages, des concerts, ou des tournées à plusieurs centaines de kilomètres pour les fêtes de l'indépendance. En septembre 2013, nous avions enregistré ensemble notre premier album de 7 titres. L'époque heureuse !

Malheureusement cette crise nous a séparés. Nous ne pouvions plus répéter comme dans le passé. Mais une chose est sûre, là où ils sont, nous gardons toujours notre lien d'amitié. Même si on ne se voit pas de face, nous sommes de cœur. On s'appelle au téléphone pour témoigner notre solidarité les uns des autres.

Pour éviter des conflits avec les gens qui ne veulent pas que moi, en tant que chrétien, et mes amis musulmans, puissent être ensemble, je suis obligé de ne pas prononcer leurs prénoms d'origine au téléphone. S'ils m'appellent et que je suis dans le bus, prononcer un prénom musulman peut me mettre en danger avec des hommes de la rébellion. Même si cela me fait beaucoup de souci, je suis obligé, en commun accord avec eux, de trouver un autre prénom pour eux (par exemple des surnoms de footballeurs internationaux) afin de pouvoir garder notre amitié. C'est très dur.

Pourtant, ceux-là n'ont rien à voir avec cette crise, mais ils payent quand même à la place des autres. Et moi aussi, je paye. Mon lien avec eux peut à tout moment m'être fatal.

A cause des politiciens, la cohésion est mise à mal. C'est pourquoi en dépit de cette situation, nous avions la ferme volonté d'être ensemble, et d’œuvrer pour qu’un jour l'amitié finisse par triompher. Et nous croyons en cela.

C'est pourquoi, après la formation « Vers la Citoyenneté par le chemin de la Paix » avec l'aide de Caritas-France, pour moi et 50 autres multiplicateurs, j'ai commencé à rencontrer les chefs et les notables de chez moi. Avec leur permission, j'ai sillonné à pied les villages voisins sur le fameux « Axe Nord », la route de toutes les rébellions. Nous avons parlé semaine après semaine, de la « Citoyenneté par le Chemin de la Paix ». Je suis très touché parce que tous ont accepté et sont très contents de cette rencontre. Six chefs nous ont reçus dans leurs assemblées de villages. Ils ont témoigné : « La paix n'est possible que lorsque chaque centrafricain se rend compte, accepte de cesser avec les divisions, les vengeances. Et qu'ils se pardonnent ». Ces chefs n'ont aucun moyen en armes, ni en budget ; parmi les centaines d'ONG et Organisations Internationales, aucune ne s'est arrêtée chez eux. Ils ne peuvent compter que sur la prise de conscience de chaque centrafricain. Notre visite était la première depuis deux ans ! Et nous, sans autre moyen que notre message, nous avons laissé sur place des comités de Citoyenneté qui continuent l'action dans ces villages.

Notre seule arme, c'est notre voix, notre guitare, pour faire comprendre aux autres que la réconciliation est possible. Car nous allons chanter, et véhiculer les messages de paix. Il y a quelques jours, nous avons enregistré quatre titres de l'album « Prise de Conscience ». Dans le studio audio, la prise de son a été faite sans nos amis Ibrahim, Mahamat et Hissène, parce qu'ils sont réfugiés internes. Et comme musiciens ça nous fait tous de la peine. Mais nous espérons réaliser le clip visuel, ensemble, mais il nous faut trouver un lieu de tournage où ils puissent accéder sans risques, et rentrer dans leur camp sains et saufs. »

Bangui, dimanche 30 novembre 2014

Témoignage d’André NGAMI à l’occasion d’une vidéo conférence organisée par ATD Quart Monde

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