Eric de BEUKELAER : « Ensemble, nous ferons tout pour continuer à porter un message d’amour et de paix ».
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Interview de Eric de BEUKELAER, curé à Liège et ancien porte parole de la Conférence Episcopale Belge, paru ce samedi 10 janvier dans le quotidien bruxellois « le Soir » p.22
Le curé-doyen de Liège rive-gauche l’avoue sans détour : «Dieu sait que je ne suis pas un lecteur assidu de Charlie Hebdo, qui n’a pas été tendre avec la religion catholique. Au moment des caricatures du Prophète, j’avais appelé à réfléchir pour ne pas mettre de l’huile sur le feu.» Pourtant, Eric de Beukelaer, prêtre médiatique et ancien porte-parole de la conférence épiscopale belge, a écrit sur son blog un billet intitulé « Nous sommes tous Charlie Hebdo ». L’homme d’Eglise a prié pour les morts, dessinateurs assassinés comme terroristes. Et l’homme le confesse : « Je me sens touché dans une de mes valeurs les plus précieuses : la liberté d’expression, cette liberté de ne pas s’autocensurer par peur.»
Notre monde semble vaciller. Qu’en pensez-vous ? Je ne suis pas du genre à clamer que « tout fout le camp ». Non, nous ne tremblons pas sur nos fondations. Rendons-nous plutôt compte que nous subissons de plein fouet la mondialisation. Dans notre monde devenu un village, le conflit en Syrie et en Irak, qui était assez loin de nos préoccupations, nous « pète à la gueule » de manière lâche et barbare. Ce ne sont pas les France, si horribles soient-ils, qui doivent nous faire penser que plus rien ne tient dans notre société.
Il y a de quoi se sentir mal à l’aise, quand même. Comment estimez-vous qu’il faille réagir ? Tout en se montrant ferme et en ne laissant pas la menace s’installer, notre société doit garder son sang-froid. Sans cela, nous allons commencer à stigmatiser tous les musulmans et, immanquablement, beaucoup d’entre eux vont se sentir de moins en moins intégrés et les plus fragiles vont se radicaliser. La spirale sera enclenchée et ce sera la grande victoire des terroristes. Il faut également que, tous ensemble, nous fassions bloc autour de nos valeurs. Ce n’est pas gagné car la situation économique est précaire et les gens souffrent de plus en plus. Dans ce contexte émergent les radicalismes, les mouvements antipolitiques et la tentation de suivre n’importe quel agitateur proposant de briser notre pacte démocratique.
En temps qu’homme d’Eglise, comment vivez-vous cette période ? Je fais partie de ces personnes qui ont la chance d’être chrétiennes et qui ont fait l’expérience d’un Dieu qui, malgré le rejet et la mort infâme, nous aime jusqu’au bout. Son message, c’est qu’à travers les pires épreuves, l’amour sort vainqueur. Quand j’ai appris la tuerie chez Charlie Hebdo, mes premiers réflexes ont été la prière et la compassion. J’ai prié pour les victimes et aussi pour les bourreaux. Quelle que soit l’horreur de leurs actes, ils sont restés des êtres humains.
Comment l’Eglise catholique peut-elle contribuer à soulager la société dans cette période de désorientation ? Avec nos frères chrétiens d’autres confessions, avec les musulmans, avec les juifs, avec la laïcité organisée et avec tous les autres, nous pouvons montrer que nous sommes ensemble, solidaires autour d’un projet de société bâti sur les droits de l’homme. Et que partout où certains voudront dresser une communauté d’hommes contre une autre, nous ferons tout pour contribuer à garder le lien social et pour continuer à porter un message d’amour et de paix.
En même temps, la religion est associée par certains à la violence… La religion peut être la plus belle des choses car elle fait le lien. Mais, regarder toutes les comme l’amour : celui-ci peut être à la fois splendide et source de violence, de bagarres et de drames conjugaux. Il en va de même pour la religion : quand la peur et la folie s’en mêlent, elle peut devenir la plus terrible des choses. Prenons les racines latines : le « religare » de « religion » devient alors le « secari » de « secte ». En d’autres termes, ce qui devrait me relier à moi-même, aux autres et à Dieu, me coupe de moi-même, des autres et de Dieu. Cela devient cette folie qui, au nom de je ne sais quelle force supérieure, est source de rejet et de violence.
Comment appréhendez-vous l’avenir ? Je suis optimiste de caractère mais je n’exclus pas que nous passions par de grandes épreuves. La situation économique n’a pas l’air de s’arranger. A cela s’ajoutent les radicalisations religieuses. Cela risque de rendre notre société plus difficile à vivre pour la génération à venir. Mais, tout mon être refuse le fatalisme. Ca, c’est la pire des choses. Souvenez-vous : dans les années 40, les nazis avaient l’air d’avoir tout gagné et, en Angleterre, mêmes des consciences très raisonnables et responsables appelaient à pactiser avec Hitler. Or, ce sont ceux qui ont rejeté ce fatalisme qui ont eu raison. Cela montre que lorsqu’il s’agit de défendre ce qu’il a de plus précieux, l’homme est capable de se dépasser, même si c’est au prix de souffrances terribles. Aujourd’hui, ce que je crains le plus, c’est qu’à force de se lamenter, on engendre ce qu’on annonce, parce qu’on irait baisser les bras et se méfier les uns des autres. Au contraire, c’est quand c’est difficile qu’il faut être doublement solidaire pour s’en sortir vers le haut.■