Le doute et la foi par Charles DELHEZ, Jésuite Belge
24 mai 2024Il y a doute et doute
Il est heureux que l’on puisse douter. Qui oserait remettre en question le 2 + 2 = 4 ? Mais que Dieu existe, que l’amour soit plus fort que la mort, que l’être humain soit meilleur que ce qu’il laisse parfois paraître… C’est chaque fois un acte de liberté.
Dans son Évangile selon Pilate, Éric-Emmanuel Schmitt, dont le chemin a débuté au désert et a été comme couronné lors de son pèlerinage à Jérusalem, écrivait déjà : « C’est parce que Dieu nous aime qu’il nous donne à douter. Cette part de choix qu’il nous laisse, c’est l’autre nom de son mystère. » Saint Augustin expliquait que le doute vrai est le signe d’une recherche profonde, celle-ci s’enracinant déjà en Dieu : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé. »
Si le mot doute apparaît trop négatif, parlons de questionnement. Il est intérieur à la foi et même proportionné à elle. Il s’agit d’un approfondissement. Heureux doute alors qui fait découvrir la richesse de ce que l’on avait déjà découvert. Ne pas douter n’est même pas scientifique ! En sciences, en effet, on ne progresse qu’en remettant toujours les acquis en question. La vérité est un horizon.
Mais il y a d’autres sortes de doute. Celui du « c’est trop beau pour être vrai » de saint Thomas, part exemple. Il n’a pas voulu croire sur des on-dit, il lui fallait une expérience personnelle. C’est le doute des agnostiques véritables, qui sont en recherche. Ils n’arrivent pas à faire le pas, les questions sont trop nombreuses. Une expérience personnelle n’a pas encore été faite ou vraiment accueillie. On voudrait alors la remplacer par une preuve. Mais « en matière de foi, la preuve affaiblit la vérité » (Rémi Brague). Elle risquerait en effet de prendre la place de Dieu et de faire de lui la simple conséquence d’un raisonnement.
Il y a aussi le doute de l’usure. La grâce initiale n’a pas été entretenue et, comme pour tout couple qui s’essouffle, des questions, des hésitations se sont doucement infiltrées, faisant oublier l’éblouissement initial. Il y a encore le doute causé par l’incohérence des croyants, les scandales trop nombreux. Face aux abus sexuels par exemple, certaines personnes en viennent à remettre en cause la validité du message, voire l’existence même de Dieu. Pointons aussi les épreuves personnelles trop lourdes à porter : Qu’ai-je fait au bon Dieu pour que… ?
Il y a trop souvent le doute paresseux de celui qui ne se pose pas de question et se contente de penser comme tout le monde. Quand il faut justifier sa paresse, bien des objections superficielles, des réponses standards, des slogans dans l’air du temps se présentent. Le doute devient alors une forme de croyance, fait remarquer Amin Maalouf.
Foi et doute seront toujours mêlés, dans la religion comme dans la vie. Mais resterons-nous des éternels sceptiques ou oserons-nous franchir le pas d’une confiance fondamentale en la vie qui nous fait croire que tout n’est pas absurde, qu’il y a une vérité qui mérite d’être sans cesse cherchée, que l’amour fait sens ? Le doute ne peut devenir un soupçon systématique, une suspicion sans fin.
La foi ne sera jamais acquise définitivement, tout comme toute relation humaine demande à être entretenue. Le doute qui s’y insinue est soit un signe avant-coureur de mort soit un aiguillon qui nous invite à aller plus loin.
Charles Delhez Jésuite
Curé de la Paroisse de Blocry à Ottignies Louvain la Neuve (Belgique)