Les quartiers prioritaires de Vernon : article d’Eglise d’Evreux- Janvier-Février 2025
30 janv. 2025Le père Denis Chautard, en collaboration avec le Secours Catholique, Solidarité Partage et l'ADEM (Association d'Entraide aux Migrants), analyse la présence de l'Eglise dans deux quartiers « Prioritaires » de la Politique de la Ville de Vernon. Des acteurs témoignent.
Les deux quartiers mitoyens Valmeux Blanchères et Boutardes comptent près de 4 000 habitants (16,5 % de la population de Vernon) peu formés et qualifiés. Le taux de chômage est de 30 % (8,6 % sur l'ensemble de la ville de Vernon). Le taux de bas revenus y est deux fois plus important. Un quart des habitants a moins de 15 ans et connait de graves difficultés scolaires. Un tiers des habitants est de nationalité étrangère (Congo, Algérie, Maroc, Nigéria, Afghanistan, Ukraine...). 20 % des familles sont monoparentales.
Ces quartiers populaires ont une fonction d'accueil et de transition. Il y a celles et ceux qui en partent, remplacés par d'autres souvent plus pauvres qui y arrivent. Ces populations conservent souvent leur langue d'origine, leur culture, leurs pratiques. Ils ont un fort besoin d'identité et de reconnaissance sociale.
L'Église y est présente d'abord par l'église Saint Jean Baptiste et par le curé, les prêtres et diacres de la paroisse Saint Louis Pays de Vernon, ainsi que des laïcs bénévoles en responsabilité. La messe dominicale avancée du samedi soir, animée alternativement par deux chorales, réunit quelques deux cents paroissiens dans une assemblée vivante représentative d'une mixité fraternelle et conviviale.
Sont présentes dans ces quartiers trois associations de solidarité issues de l'Église Catholique qui, en 2011, ont signé un partenariat pour partager leurs moyens matériels et humains Le Secours Catholique, Solidarité Partage et l'Association d'Entraide aux Migrants (ADEM). Deux d'entre elles sont hébergées par le diocèse dans des locaux lui appartenant, 28 rue du coq (ancienne chapelle de Gamilly).
Le Secours Catholique Caritas France (SCCF), dont la Conférence des évêques de France à laquelle il est « organiquement lié ainsi qu'à chacune des Églises diocésaines », avait, le 31 mars 2023 à Lourdes, rappelé « que [son] identité est fondé sur l'Évangile du Christ et a pour mission de rayonner la charité chrétienne. Acteur majeur de la diaconie, [il] témoigne de l'amour que le Christ porte à chaque personne et au monde. Il a vocation à signifier et exprimer sa présence et son action au cœur de ce monde en rejoignant les périphéries et en suscitant l'engagement fraternel. [..J Le SCCF est prioritairement attentif aux plus pauvres et à la reconnaissance de leur dignité. Pour cela, il veille à recueillir et valoriser leur parole. Avec et à partir d'eux, il cherche à ce que les plus pauvres participent pleinement au présent et au devenir de la société et de l'Église. Il encourage leurs projets individuels et collectifs qui renforcent leur pouvoir d'agir et éclairent leur recherche de sens. Il développe une pédagogie sans cesse renouvelée et accessible à tous pour vivre la rencontre, l'entraide et la joie de la fraternité avec les plus pauvres. Il appelle à vivre cet engagement adressé à tous. En favorisant la coopération de personnes issues de différentes cultures, religions et convictions, il contribue à construire un monde plus juste et œuvre pour la paix. Missionné par l'Église et présent au Cœur de la société, à l'écoute de la Parole de Dieu, il dénonce les causes structurelles de la pauvreté en France et dans le monde, à partir de la vie et de la parole des pauvres. La charité sociale et politique guide la pédagogie du Secours Catholique. »
L'équipe de Vernon, après des décennies en centre-ville, s'est installée fin 2023 aux Blanchères, au coeur des Quartiers Prioritaires de la Ville où elle est désormais bien identifiée par les habitants. Grâce à ses 40 bénévoles, elle propose accompagnement administratif, aide financière, cours de français, formation informatique, aide aux devoirs. Plus de 70 personnes sont assidues aux cours de français, délivrés tout au long de la semaine, et 200 personnes bénéficient d'un accompagnement administratif chaque année. L'équipe s'appuie sur sa connaissance de tous les partenaires du territoire.
Rose, demanderesse d'asile mais laissée à la rue, partie début 2023 du Congo : « Je suis de Kinshasa fuyant une histoire difficile, pour un périple d'un an à travers l'Afrique, en passant par Lampedusa, malmenée physiquement et humainement. L'équipe m'a mise à l'abri avec l'aide d'Un Toit sous la Main, d'abord à l'hôtel, puis chez deux communautés de religieuses. Le plaidoyer de l'équipe auprès de l'État continue. Je suis enfin en foyer. Je prends des cours de français avec le Secours Catholique et attend le résultat pour l'asile... »
Solidarité Partage est installée depuis 1983 dans le quartier de Gamilly au profit des personnes en difficulté de Vernon, des quartiers des Boutardes, des Valmeux, des Blanchères, de Gamilly et des Douers, ainsi que des demandeurs d'asile d'ADOMA. Son activité a augmenté de 60% en 2023. Quelques 23 244 repas ont été distribués. 150 familles bénéficiaires y ont été orientées par les services sociaux. Sur les 91 tonnes de produits distribués (en hausse de 18 %), 73 tonnes proviennent de la Banque alimentaire d’Évreux, 8 tonnes des Restos du Cœur et 7 tonnes d’achats complémentaires effectués localement. Outre l'aide alimentaire et vestimentaire, l’association vend à prix modique des meubles et de la vaisselle. Elle assure aussi un rôle d'écoute et de réconfort auprès des personnes isolées ou fragilisées
Au sein de ces familles, ce sont 370 enfants (+100%) de moins de 3 ans qui ont été aidés. C'est une des caractéristiques marquantes des familles accueillies qui sont de nombreuses nationalités.
Témoignage de Claudine: « Arrivée en 2013 du Congo où je n'étais pas en sécurité, j'ai obtenu en 2015 mon statut de protection subsidiaire de réfugiée en laissant ma famille derrière moi. Solidarité Partage m'a alors aidé dans ma vie pratique : vêtements, vaisselle, meubles à petits prix, ce qui m'a permis de m'installer. C'est une association vivante qui aide réellement les plus démunis. En 2017, ma famille m'a rejoint. On s'est retrouvés en paix. Aujourd'hui je continue de bénéficier de Solidarité Partage que je remercie vivement. »
L’Association d’Entraide aux Migrants (ADEM) définit ainsi sa mission « Nous soutenons et accompagnons les migrants et les demandeurs d’asile dans leurs démarches administratives et juridiques à la Préfecture d’Evreux, à l’OFII et à l’OFPRA. Ensemble, nous bâtissons une société inclusive et juste où chacun a la chance de reconstruire sa vie avec dignité et sécurité. ». Une vingtaine de bénévoles assurent deux permanences par mois avec 3 à 4 bureaux d’accueil. Au cours des 23 permanences de 2023, l’ADEM a accueilli 221 personnes dont 104 premiers accueils et 117 accueils de suivi.
Témoignage d’Hakeem, militant du groupe Sunday Igboho au Nigéria qui militait en janvier 2021 pour une nation yoruba séparée : « J’ai été séquestré puis torturé par la police de mon pays, je suis venu me réfugier en France le 27 juillet 2022. Suite à de graves traumatismes j’ai été hospitalisé à Evreux en janvier 2023 et en mars 2023. Débouté de ma première demande d’asile en juin 2023 et j’ai dû quitter le foyer des demandeurs d’asile le 31 juillet pour me retrouver à la rue. J’ai dormi dans le métro gare du Nord à Paris. L’ADEM a obtenu le réexamen de ma demande d’asile et j’ai obtenu le statut de réfugié (pour raisons de santé) en juillet 2024 mais j’étais toujours à la rue. Après avoir fait valoir mon droit à un hébergement j’ai finalement été placé en Centre d’Hébergement pour réfugiés à Evreux le 20 octobre 2024. Désormais je peux apprendre le Français et construire mon avenir en France. »
Mais seules, nos trois associations qui, par manque de moyens financiers, matériels et humains, ne peuvent pas répondre à tous les besoins des populations concernées ont tissé des liens de partenariat avec d’autres associations également présentes sur les quartiers Valmeux-Blanchères et Boutardes.
Les Restos du cœur qui, avec sa trentaine de bénévoles accueillent 200 familles. L’aide alimentaire est un volet fondamental de l’aide à la personne et représente le premier pas vers la réinsertion pour les personnes accueillies. Les denrées distribuées proviennent de plusieurs sources : achats en gros auprès de fournisseurs, dons en nature d’entreprises, producteurs, consommateurs et subventions en nature de l’Union Européenne et de la France. Sur le terrain, les Restos du Cœur ont aussi mis en place une aide spécifique pour les bébés et des repas chauds distribués dans les accueils de jour ou activités de rue.
La distribution de denrées alimentaires proposée, sous condition de ressources, n’est pas seulement une réponse en termes de bien de première nécessité, elle permet aussi de créer du lien et d'échanger. Et, parce qu'un repas ne suffit pas, elle est la porte d'entrée vers d'autres types d'aides à la personne qui peuvent être proposés dans les centres Restos du Coeur ou par d'autres partenaires de l'action sociale.
L’association Espace Laïque Vernonnais a, en 2023, accompagné 201 familles, ce qui représente au total 517 jeunes. 16 bénévoles suivent de jeunes dans le cadre du soutien scolaire. Tous ont pu bénéficier de nombreuses animations et voyages : un séjour en mer sur un bateau l’été dernier, un projet autour des fake news, des sorties intergénérationnelles dans un Ehpad ou encore une soirée autour du monde pour découvrir les différentes cultures qui nous entourent.
L’Association Accueil Services est ouverte tous les matins du lundi au vendredi avec petit déjeuner et possibilité de prendre une douche et de faire sa lessive. Elle réalise un accueil et la domiciliation postale de ses bénéficiaires (principalement des migrants à la rue ou des sans-papiers. Elle réalise un accompagnement social pour les démarches auprès de France Travail (CV, lettre de motivation.) de la CAF (RSA) de la CPAM…Elle organise des maraudes le midi pour aller à la rencontre des sans-abris à Vernon. En 2023 l’intervenante sociale a mené 233 entretiens, 406 actes de coordination avec ADOMA, YSOS (le 115, le SIAO), la PASS, le département, le CCAS, l’OFII.
Laissons conclure le père Denis Chautard, prêtre de la Mission de France et qui habite Vernon depuis plus de 30 ans :
« Personnellement et avec la Pastorale des Migrants nous avons contribué à des rencontres intercommunautaires et interreligieuses dans les années 2001-2010. À la demande de l'Imam de l'époque, j'ai fait partie du comité d'organisation de l'inauguration de la mosquée des Marocains en mars 2006, inauguration marquée par la présence de notre nouvel évêque de l'époque, Mgr Christian Nourrichard. La solidarité, le service du frère nait de la foi et de l'Évangile. Nous rencontrons sur ce terrain des personnes qui nous rejoignent et qui sont mues par ce sens profond et gratuit du service des autres sans pour autant partager notre foi. Nous avançons ensemble dans le respect de chacun. Quelle belle aventure ! »
Dossier préparé par le P. Denis Chautard, Le Secours Catholique (Thierry Marigny et Virginie Laithier), Solidarité Partage (Marius Besson, diacre, et Catherine Czwikinski), et l'ADEM (Louis Hue).
Eglise d’Evreux N°144 Janvier-Février 2025 pages 22-25