Homélie du Cinquième Dimanche de Carême

Saint Nicolas de Vernonnet 

3 avril 2006

Il y a des jours, comme aujourd’hui où le métier de « prédicateur » est bien difficile. On se dit que l’on aurait mieux fait de rester au chaud sous la couette plutôt que de s’exposer à un évangile aussi difficile. Et pourtant l’Evangile de Jean s’il est un Evangile « théologique » est aussi un Evangile qui a des racines très anciennes, on dit même les racines les plus anciennes avec les épîtres de Saint Paul.

 Nous montons à Jérusalem avec Jésus, la ville où il va subir son arrestation, son procès, sa passion et sa mort. Nous entrons avec lui dans ces moments douloureux et terribles où il est pris dans les filets du mal, de la haine et de la violence.

 Longtemps les récits de la Passion ont été interprétés comme de « connivence » avec le mal et la souffrance : « la vie ici bas est une vallée de larmes ». Il y a eu longtemps un véritable sado-masochisme religieux.

 Le sentiment religieux naturel de l’homme naît avec l’homme lui-même : lorsqu’il prend conscience des dangers, des menaces qui pèsent sur lui : la souffrance, la violence, la maladie,  et le pire de tous : la mort. Dieu est souvent un « bouche trou » de notre mal de vivre. Il vient combler les manques à la question du sens : tout ce que l’homme n’arrive pas à comprendre, à expliquer, il le remet entre les mains de la « divinité ».

 Ce sentiment religieux fait partie de nous. Il est au départ rempli d’ambiguïtés, c’est bien normal.

 Nous avons besoin de Dieu pour faire face à notre « misère humaine » ! La « révélation »  au contraire nous conduit à une véritable « conversion », au sens que ce mot a au ski : retournement, changement total d’horizon, de perspective qui conduit à un changement complet de regard sur Dieu. Dieu n’a plus rien d’un « bouche trou ».

 C’est ce qui se passe dans l’Evangile de Saint Jean aujourd’hui : Les grecs, qui ont été « interpellés »  par les miracles de Jésus, par son autorité, par ses paroles très étonnantes demandent à Philippe et aux apôtres à « VOIR » Jésus. Et ce mot « VOIR » est d’une importance capitale dans l’Evangile de Saint Jean, comme d’ailleurs un autre mot : « CROIRE ».

 Je fais un écart pour mieux faire comprendre la portée symbolique de ce mot. J’en choisis un autre qui a la même origine : VISA ». L’autorité qui donne un VISA aux étrangers qui désirent pénétrer sur leur territoire a pouvoir sur eux. De même qu’un chef de service ou un directeur montre qu’il a autorité sur ses salariés lorsqu’il a « visé » (c’est à dire qu’il a apposé son cachet et sa signature sur une note de service ou sur un document administratif). Regardez à la télévision, ou même dans les magasines ou sur Internet, le pouvoir des l’images.

Ces Grecs qui veulent « VOIR » Jésus veulent avoir « prise » sur lui. A travers lui, ils veulent avoir « prise » sur Dieu. C’est comparable au désir « religieux » primaire en chacun de nous. Nous avons besoin au départ d’un Dieu qui règle nos problèmes, qui nous permette de faire face à notre vie, pour calmer nos énormes angoisses devant la souffrance, l’injustice, la maladie, la mort.

 Nous voulons « VOIR » Dieu, c’est à dire avoir « prise » sur lui. Or, rappelez-vous que pour les Hébreux, « VOIR » Dieu c’est MOURIR. Moïse n’est jamais entré dans la terre promise., lui qui a « VU » Dieu.

 Aux Grecs qui demandent à le« VOIR », Jésus propose comme chemin de rencontre de Dieu le chemin « escarpé » de la Passion.

Nous y revenons : la Passion est le cœur de la « révélation ». Ce n’est en rien une compromission avec le mal, la souffrance ou la mort. Chrétiens nous ne sommes en rien des masochistes, des doloristes.

 Si vous lisez l’Evangile de Saint Jean vous verrez que c’est tout le contraire : c’est un Evangile de Vie. « La gloire de Dieu, c’est l’Homme Vivant » (Saint Irénée). La Passion selon Saint Jean, c’est la manifestation de la gloire de Dieu : cette gloire qui est la Vie elle même, qui est l’accomplissement de la Vie de Dieu en l’Homme. Rappelez-vous, lorsque le soldat romain perça le côté de Jésus juste après sa mort, il en jaillit du sang et de l’eau : qui sont les deux premiers symboles de la vie. Rappelez vous le centurion Romain au pied de la croix qui dit cette phrase étonnante en voyant mourir Jésus : « Vraiment cet homme est le Fils de Dieu » ! Le message de la Passion dans Saint Jean, c’est que la Résurrection n’est pas un coup de baguette magique après la mort de Jésus. La Résurrection s’exprime déjà tout au long de la Passion. Ce n’est qu’en nous aventurant sur ce chemin de la Passion « glorieuse et lumineuse » que nous pourrons entrevoir la révélation du mystère.

 Si les récits de la Passion sont les textes les plus anciens des Evangiles et ceux qui font partie de la liturgie des premières communautés Chrétiennes, c’est qu’ils représentent dès l’origine un retournement complet de perspective, une source inépuisable et fondamentale pour notre foi. Dans sa Passion Jésus n’est pas seul : il nous révèle la présence du Père à qui il donne toute confiance. Il est lui même « la gloire de Dieu ». « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore » dit la voix venue du ciel dans cet Evangile. Il est lui le VIVANT. La passion de Jésus n’est pas l’abandon dans la mort, c’est une source de Vie. La contemplation de la croix n’est pas la mortification du chrétien, la contemplation de la croix c’est la surabondance de la Vie. Ce n’est pas le supplicié que nous admirons et que nous voulons imiter, c’est la gloire de Dieu, c’est à dire l’extraordinaire puissance de Vie qui est donnée à celui qui « croit sans avoir vu », à celui qui accepte de faire le chemin en prenant le risque de l’inconnu. La foi n’est pas « une assurance tous risques ». La foi c’est une aventure où l’on se sait pas de quoi demain sera fait, mais où l’on accepte le défi, la route et le voyage !

 Nous faisons tous l’expérience de l’adversité, de la souffrance et du malheur. Nous connaissons tous des passions et des croix. Mais emprunter avec Jésus  ce chemin de la confiance et du don de soi, de la Passion à la Croix , c’est découvrir que nous sommes accompagnés, que la présence du Père transforme ce chemin de dés errance en chemin de VIE.

 « Il n’ y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jésus dans l’Evangile)

 « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant et la Vie de l’homme c’est la « vision » de Dieu ! » (Saint Irénée)

 « Dieu ne peut que donner son amour, notre Dieu est tendresse… » (Frère Roger de Taizé).

 Denis Chautard

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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