Christian-de-Cherge

  Jean (3,15-21)

  Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement, celui qui ne veut pas croire est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici: quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. En effet, tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres ne lui soient repro­chées; mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient reconnues comme des œuvres de Dieu. »

Don ultime 

Don des origines, don de la création. Dès l’abord, Dieu aime. Il crée pour cela - à cause de cela et en vue de cela. Dès le commencement, il donne... il donne jus­qu’à la Croix et au-delà. Il donne en laissant l’homme libre de perdre, libre de sa façon de le perdre. Car quand il donne, il se donne. Il se donne en tout, même dans la mort qu’il n’a pas voulue. Et c’est grâce, c’est-à-dire que c’est gratuit, c’est cadeau. Les dons de Dieu ne sont pas à acheter : qui pourrait prétendre acheter l’amour ! Le sot ! Dieu n’est pas mercantile. Pas de donnant-donnant en Lui. Sa justice n’est ni intéressée ni vengeresse. :. Difficile à concevoir pour nous ! Pas de marché à faire avec Lui, même en vie consacrée. « Nous avons tout donné, dit le disciple, que recevons-nous ? »

Dieu le Premier a tout donné! (sans rien attendre que l’amour et il est comblé). Que reçoit- il? Dans ce don qui est création en Jésus-Christ, il y a ce vœu que nous soyons comme lui, des créateurs dont « les actes soient vraiment bons ». Ainsi, après avoir séparé la lumière des ténèbres, Dieu lui-même voit tout, pose tout, dans la lumière. Pas de ténèbres en Lui. Si l’homme échappe à la lumière, ses œuvres deviennent ténèbres; mais c’est la logique de l’amour que de laisser l’homme juge de lui-même, se juger lui-même par ses œuvres, de n’exercer aucune puissance, aucune contrainte, de le laisser libre dans son choix: le bien et le choix ont partie liée. « Voici, je mets devant toi la vie ou la mort. Choisis la vie afin de vivre, toi et ta postérité. » (Dt 30,15). « Sais-tu que j’ai le pouvoir de te tuer ? », disait le juge romain. Au martyr chrétien, Dieu ne parle pas ainsi. Mais l’Esprit du Christ fait la réponse du martyr à son juge : « Mais, savez-vous que j’ai le pouvoir d’être tué ? »

Vous n'avez pas le choix! Ce sont, contrairement aux mots de Dieu, les pauvres mots d’un être embarrassé qui brandit son pouvoir en pressentant son impuissance. Le choix qu’il veut imposer lui échappe. Il ne peut en proposer que deux pauvres alternatives... Au moment même où ce choix se définit, la liberté sait par où elle ne saurait se lier sans risquer de s’aliéner. Elle voit les portes qui lui restent ouvertes, et par où elle va s’échapper pour rester elle-même. « Choisis la vie! » Ce choix seul est libérant, et gra­tuit à la fois. Mais seul le vivant peut l’offrir, seul l’amour qui ne meurt pas peut le garantir, parce qu’il s’offre lui-même en même temps, il se donne lui-même. Dans la liberté de ce don, l’homme comprend, comme Jésus, comme les martyrs, que « ce qui importe, ce n’est pas de rester en vie coûte que coûte, mais comment l’on reste en vie » disait Etty Hillesum. La liberté est du côté de l’amour, toujours, définitivement. La Croix nous le redit, comme une nouvelle création : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne! »

Le Père Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine, fut enlevé puis assassiné avec six autres moines cisterciens, en mars 1996. Il rédigea ce commentaire de l’Évangile de Jean le 13 mars 1994, à la suite d’une attaque du monastère par un groupe armé, le 1er janvier 1994.

 

Article paru dans Témoignage Chrétien n°3484 du 15 mars 2012

 

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