Schmitt

Après le témoignage « lumineux » d’Eric Emmanuel SCHMITT ce matin dans l’émission Le Jour du Seigneur sur France 2 je vous propose le récit de sa conversion tel qu’il l’a donné au site Internet de Contact TV, une Web TV du Québec.

« Aussi convient-il sans doute d’évoquer dès maintenant le récit de la forte expérience spirituelle qu’Eric-Emmanuel Schmitt a vécue un jour, le 4 février 1989, et qui irriguera son œuvre à venir tout en le libérant en tant qu’écrivain, puisqu’elle coïncidera avec le début, peu de temps après, de l’écriture de sa première pièce, La nuit de Valognes. « C’est à partir de cette date que j’ai pu écrire. Jusque-là, ce que j’écrivais me paraissait vain », dit-il en entrevue. Et cette pièce, qui se termine sur la (re) naissance de Don Juan à son humanité, après une nuit de confrontation avec quelques-unes de ses anciennes victimes, ne peut pas ne pas rappeler aussi la (re) naissance qui attend le converti au lendemain de sa nuit mystique, de même que la naissance de l’écrivain à l’écriture.

Le récit de cette conversion est repris peu ou prou dans le préambule de Mes évangiles (2004), qui reprend notamment l’adaptation théâtrale de L’évangile selon Pilate, à l’origine roman. Mais écoutons l’auteur raconter l’épisode à un journaliste du quotidien La Croix : « J’étais parti dans le Hoggar avec des amis. Nous avions gravi le mont Tahar, le plus haut sommet, et j’ai voulu redescendre le premier. J’ai vite compris que je ne prenais pas le bon chemin, mais j’ai poursuivi, irrésistiblement séduit par l’idée de me perdre. Quand la nuit et le froid sont tombés, comme je n’avais rien, je me suis enterré dans le sable. Alors que j’aurais dû avoir peur, cette nuit de solitude sous la voûte étoilée a été extraordinaire. J’ai éprouvé le sentiment de l’Absolu et, avec la certitude qu’un Ordre, une intelligence, veille sur nous, et que, dans cet ordre, j’ai été créé, voulu. Et puis la même phrase occupait mes pensées : Tout est justifié. »

Ce faisant, Schmitt obtenait là, bien qu’il déclare s’en méfier, une sorte de réponse à la question qui le hantait, depuis l’époque où il avait été confronté aux images terribles de la libération des camps de concentration et du bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki : pourquoi le Mal existe-t-il ? Cette réponse, nul jusqu’à présent, ni ses parents athées, ni les philosophes, ni les beaux esprits libertins n’avaient pu la lui fournir. Sauf peut-être la musique qui « répond oui à une question qu’on ne formule pas toujours », écrit-il dans Ma vie avec Mozart : « Que faisons-nous sur cette terre avec ce corps friable et cette pensée limitée ? »

Car voici que s’avance une autre réalité tout aussi douloureuse pour Schmitt : la mort. « C’est vrai, ma gentillesse cache un profond désespoir, confie-t-il à un journaliste. Quand je suis en face de quelqu’un, je pense inexorablement à sa mort. À la mienne. Je me dis que nous allons mourir et que tout ça est bien ridicule. » Il est vrai que la période hédoniste de Schmitt, voire sa jeunesse, tout simplement, a coïncidé avec la décennie 1980, la plus meurtrière de toute l’épidémie du sida. Autour de lui, ses amis tombent, sont tombés ou tomberont. Comment ne pas avoir, dans ces conditions, une conscience aiguë de la mort ?

Mais après cette nuit du 4 février 1989, voilà que Schmitt retrouve l’aube du désert avec une certitude, sans prosélytisme toutefois (« Je ne suis pas contagieux », répète-t-il souvent) : tout a un sens. Ce sens peut échapper à l’être humain. Il n’en existe pas moins. Pour Schmitt, commente Éric Meyer, « Dieu n’est jamais qu’un mot, un espace blanc pour capturer cette interrogativité infinie qui caractérise l’homme. Dieu n’est jamais donné, et la seule garantie qu’il offre est l’incertitude des choses. Il ne défait pas le Mal, mais il permet de penser le Bien. »

On aura compris qu’étant donné l’importance qu’elles revêtent dans son œuvre, il fallait insister, ici, sur les préoccupations religieuses de Schmitt. Mais font-elles pour autant de lui un auteur religieux ? Dans son œuvre, l’écrivain semble pratiquer une forme de « théologie négative ». D’un point de vue théologique, précisons que, par opposition à la théologie naturelle, qui fait intervenir la raison, et la théologie révélée, qui fait intervenir la révélation, la théologie négative affirme l’existence de Dieu à partir de tout ce qu’il n’est pas. Paradoxalement, on peut donc se demander si la vision religieuse de Schmitt à l’œuvre dans ses écrits n’est pas le contraire de la religion, ou à tout le moins des religions révélées (soit les trois grandes religions monothéistes), qui, par essence, ne peuvent s’affirmer qu’en faisant appel au dogme. Est-il besoin d’ajouter que cette ambiguïté métaphysique (de fortes convictions qui ne valent que pour l’auteur) ajoute aux séductions de son œuvre littéraire ?

Au moment de sa conversion, Eric-Emmanuel Schmitt n’était pas tout à fait dépourvu d’éducation religieuse. À 11 ans, ses parents l’avaient inscrit au catéchisme, en lui disant : « Il faut quand même que tu connaisses cette histoire ! » L’Histoire sainte, cependant, lui a semblé indéchiffrable, tout au long de cette année de catéchisme et malgré le goût du dialogue philosophique que l’aumônier du collège, le père Pons, lui transmet en l’invitant à réfléchir, d’un point de vue biblique, sur des questions sociales. Du reste, ces rudiments de catéchèse fondent comme neige au soleil lorsque l’étudiant Schmitt commence à lire Nietzsche, Sartre et Freud. Plus tard, l’athéisme (Dieu n’existe pas) hérité de la famille se transformera en agnosticisme (l’homme ne peut pas connaître Dieu) à la lecture de philosophes animés, à des degrés divers, d’une inquiétude religieuse : Descartes, Kierkegaard, Leibniz, Pascal. Mais de là à croire en Dieu, et en un Dieu résolument chrétien... Il fallait sans doute une nuit en solitaire sous les étoiles du désert, avec la conscience exacerbée de sa mort (n’était-il pas égaré, loin de ses compagnons ?) et de la vie (n’était-il pas prodigieusement en paix ?) assortie d’un mystérieux sentiment de plénitude et de « temps dilaté » pour que la conversion ait lieu. Tout au long de son œuvre (pour ne rien dire des entrevues où l’écrivain s’explique volontiers sur la question), nous verrons cette foi agissant en filigrane, tantôt sur le mode du paradoxe, tantôt de l’allusion, tantôt de l’affirmation (jamais cependant par la voix du narrateur mais toujours, de manière dialectique, à travers certains personnages, par exemple Mamie-Rose, dans Oscar et la dame rose, ou sœur Lucie dans La part de l’autre), foi optimiste, redisons-le, sans trop de prêchi-prêcha. …. »

Marie-Andrée Lamontagne

 

 

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