« Aucun indicateur ne donne raison à François Bayrou sur une prétendue submersion migratoire », selon le démographe François Héran

Selon François Héran, professeur au Collège de France, démographe, spécialiste de l'immigration, les déclarations du Premier ministre français sur un "sentiment de submersion migratoire" sont infondées. La France, au regard des indicateurs démographiques, accueille sur son sol peu d'immigrés - comparée à d'autres pays européens.

Le Premier ministre François Bayrou a soulevé l'indignation d'une partie de la classe politique en affirmant lundi soir que la France « approchait » d'un "sentiment de submersion en matière d'immigration". L'utilisation du mot "submersion" - peu anodin - fait partie du vocable du Rassemblement national. Loin de se défendre de ce parallèle avec l'extrême droite, François Bayrou a réitéré ses propos le lendemain à l'Assemblée nationale en les restreignant toutefois à Mayotte et à certains autres départements.

Pour le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), Didier Leschi, le terme est impropre et maladroit. "Il n'y a pas de submersion migratoire, mais il y a des endroits où la concentration d'immigration pose des problèmes sociaux importants qu'il faut arriver à résoudre", a-t-il affirmé.

Alors le terme est-il exagéré ?

Selon les chiffres de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), oui. En 2023, l'Insee considérait que la population étrangère vivant en France s'élevait à 5,6 millions de personnes, soit 8,2 % de la population totale, contre 6,5 % en 1975. Les étrangers représentent donc une large minorité. De plus, cette hausse n’a rien d’étonnant - elle se constate dans tous les pays développés.

"L'immigration n'est pas incontrôlée"

"L’immigration est perçue comme incontrôlée, comme un problème à résoudre, alors que c’est un phénomène démographique normal", expliquait déjà en septembre à InfoMigrants Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

"La population mondiale augmente et donc il y a de plus en plus d'immigrés et les immigrés ont tendance à aller de plus en plus vers les pays de l'OCDE".

Les chiffres de l'ONU sur la proportion d'immigrés dans des pays d'accueil. Le tableau est réalisé par le démographe François Héran.

C'est aussi l'avis de François Héran, sociologue et démographe, professeur au Collège de France. "Aucun indicateur ne donne raison à François Bayrou sur une prétendue submersion migratoire", déclare-t-il à InfoMigrants. "Il y a une montée de l’immigration, oui, mais elle est modérée. C’est une poussée continue, pas exponentielle, une augmentation linéaire" qui a cours partout dans les pays développés de la planète.

"En réalité, poursuit-il, l’immigration progresse au même rythme depuis des années, que ce soit sous les mandats de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande ou Emmanuel Macron. Rien ne sert de pointer du doigt le précédent président en dénonçant son bilan migratoire, cette augmentation n’a rien à voir avec les politiques françaises".

"Nous sommes dans le bas du tableau"

Surtout, rappelle François Héran, la France accueille peu d'immigrés sur son sol au regard des autres pays européens. Selon une moyenne établie par l'OCDE, seul 1 % d'étrangers supplémentaires s’installent chaque année - pendant un an au moins - dans un pays riche.

"La France est bien en dessous de cette moyenne : elle est à 0,5 %. Devant nous, il y a l’Allemagne à 0,6 %, la Suède à 0,8 %, l’Espagne à 1 %, la Belgique à 1,1 %, le Portugal à 1,2 %… Nous ne sommes pas en tête du tableau, mais plutôt dans les derniers". 

Et de continuer en citant d’autres indicateurs. "Selon Eurostat aussi, la France n'est pas le pays le plus accueillant. Elle a une proportion de 13 % d’immigrés dans sa population totale [c'est à dire des étrangers, européens ou non, installés depuis au moins un an dans un autre pays que celui de leur naissance, ndlr] mais le Luxembourg est à un taux de 49 %, Malte de 23 %, l’Allemagne de 18 %… Là encore, nous ne sommes pas en tête du classement", ajoute François Héran.

Même la référence à Mayotte du Premier ministre ne semble pas convaincre le démographe. "Oui, il y a une concentration forte d'immigrés dans certains territoires, comme à Mayotte, ou en Ile-de-France, ou dans certaines régions frontalières françaises. Mais si ces arrivées peuvent créer, je dirais, une émotion, elles ne correspondent pas à une submersion au regard des chiffres pris dans leur globalité".  

À Mayotte, pour rappel, les autorités françaises exécutent de nombreuses expulsions vers les Comores voisines. En 2023, environ 24 000 reconduites à la frontière ont été effectuées, contre un peu plus de 25 000 l’année précédente, et 24 000 en 2021, selon les chiffres de la préfecture. Des chiffres plutôt stables et qui concernent aussi - dans une petite proportion - les Africains de la région des Grands lacs. 

Un sentiment "d'invasion" qui s'est installé dans les années 2000

Reste que cette augmentation "continue" de l’immigration dans les pays riches donne du grain à moudre à certaines théories, notamment celle du "grand remplacement". Cette théorie repose sur l’idée xénophobe que la population française serait peu à peu remplacée par une autre, en l’occurrence les populations africaines et les musulmans. 

Malgré la réalité des chiffres, les déclarations de François Bayrou résonnent comme une ouverture politique à l’extrême droite et elles dérangent une large partie de la classe politique à gauche. "Ce n'est pas avec un mot comme ça" que la "dynamique électorale du RN (...) sera cassée", a estimé sur LCI le politologue Jean-Yves Camus.

La présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet n'aurait, elle, "jamais tenu ces propos" qui la "gênent". "On parle d'hommes et de femmes, de notre pays, la France qui, par son Histoire, par sa géographie, par sa culture, a toujours accueilli et s'est construite avec cette tradition".

Charlotte Boitiaux Publié le : 29/01/2025

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