Homélie du Dimanche de l’Epiphanie, 5 janvier 2014
04 janv. 2014
« Repartir par un autre chemin » à la suite des mages
Une remarque d’abord. A ceux qui voudraient voir dans ce récit de l’Epiphanie un reportage précis et détaillé de ce qui s’set passé quelques jours après la naissance de Jésus, une description historique en somme, je dis ATTENTION ! Ce texte n’est pas un reportage mais un enseignement. Ce n’est pas un texte enfantin, non plus, mais une catéchèse d’adultes, ce n’est pas une belle histoire pour les enfants, c’est une histoire pleine de sens pour les plus grands.
Je m’explique : Matthieu écrit son évangile 40 ou 50 ans après la mort de Jésus. Il a beaucoup réfléchi sur l’aveuglement de certains pharisiens, de certains prêtres, des scribes du temps de Jésus. Et 40 ans après, c’est pareil, il en est encore qui font toujours preuve du même entêtement, du même refus. En écrivant cette page, c’est à eux qu’il pense.
D’autre part, Matthieu écrit son évangile à des communautés chrétiennes issues du monde juif et qui hésitent à accueillir les païens parmi eux, des Grecs, des Romains qui se convertissent en grand nombre à l’Evangile de Jésus. Leur entrée massive dans les communautés n’est pas du goût de tout le monde. Certains se demandent si des hommes, des femmes qui ne pratiquent pas la Loi de Moïse peuvent devenir chrétiens. C’est pour répondre à cette question que Matthieu a inventé ce récit de la visite des mages. Il l’a composée comme une page un peu polémique pour mieux se faire comprendre.
En effet, qui voit-il venir auprès de l’Enfant Jésus ? On s’attendrait normalement à voir les prêtres, les lévites, les docteurs de la Loi, les hommes de la religion. Non, Matthieu nous dit que ce sont des hommes qui viennent de lointaines contrées d’Orient, avec leur caravane de chameaux. Sont-ils rois sont-ils savants ? Peu importe, ce sont d’éminents personnages des autres peuples que Matthieu voit converger vers le Sauveur. Ce sont des païens, en somme, des étrangers qui se risquent à chercher Dieu jusqu’à Bethléem et non pas ceux qui savent tout des Ecritures. Eux, ils restent à Jérusalem. On dirait qu’ils en savent trop ! C’est qu’il ne suffit pas de « savoir », il faut marcher, comme les Mages, et « se rendre ».
Le message que Matthieu veut faire passer est clair. La réponse est donnée à la question : « Faut-il accueillir les païens dans les communauté chrétiennes ? » Mais bien sûr, dit Matthieu. Ce sont eux qui ont le mieux compris la nouveauté apportée par Jésus. Ils ont mieux accueilli la visite de Dieu. En offrant l’or, ils le disent Roi, en offrant l’encens, ils le disent Dieu, en lui présentant la myrrhe (qui servait à embaumer les morts), ils annoncent la mort de Jésus.
Le message de l’Epiphanie est éclatant. Le mot Epiphanie veut dire « Manifestation ». Dieu veut « se manifester » à tous les hommes sans exception : « Etranger, d’où que tu viennes, Dieu est venu pour toi. Aucun obstacle ne peut venir de ta race, de ta culture, de ton origine religieuse. Dieu se propose à toi, qui que tu sois, pourvu que tu le cherches. »
Merci à Matthieu de nous avoir raconté la visite des Mages.
Et si nous reprenions les symboles qu’il a choisis pour nous souhaiter les uns aux autres une bonne année ? L’or, l’encens et la myrrhe.
L’or évoque tout ce qui dans notre monde relève des échanges économiques. Notre vie matérielle, en somme. La vie matérielle, c’est important. Ce n’est pas suffisant pour passer une bonne année, mais c’est nécessaire. Nous pouvons nous souhaiter une vie matérielle équilibrée, stable, un emploi sûr, un salaire régulier. Et puis, que les biens matériels soient mieux distribués, mieux partagés, pour que ceux qui manquent terriblement du nécessaire autour de nous, en France, dans le monde retrouvent une existence normale.
L’encens évoque la prière. Non pas la vie matérielle, mais la vie spirituelle. L’intériorité, le silence, la prière. On peut souhaiter cela : avoir une vraie vie de prière. Et qu’au cœur de notre cité, notre paroisse soit un repère pour tous ceux qui cherchent leur chemin.
La myrrhe enfin. La myrrhe servait à embaumer les morts. Il ne s’agit pas d’être des rabat-joie aujourd’hui, mais reconnaissons que la mort fait partie de la vie. Il faut souhaiter que ceux qui connaitront cette année le désert cruel de la souffrance et de la mort ne soient pas seuls quand ils traverseront ce désert, et que dans l’épreuve terrible de la mort d’un proche, notre espérance soit plus forte que la mort. Il y a aussi tout le débat sur la fin de vie.
Et puis que notre prière et notre courage en 2014 fassent reculer les forces de mort, la violence, la haine, l’indifférence, autour de nous et dans le monde.
Un mot encore pour conclure. Avez-vous retenu la dernière phrase du récit de Matthieu ? Il dit qu’après avoir rencontré Jésus, « les Mages sont repartis par un autre chemin ». Ce sera mon dernier souhait : puissions-nous repartir en 2014 « par un autre chemin ». Tous ceux qui rencontrent le Christ sont voués à un autre chemin, arrachés à leur passé, à leur chemin habituel, à leur routine. Le chemin ouvert par Jésus est toujours nouveau. Je reprends à mon compte cette phrase joliment suggestive : « Plus important encore que d’ajouter une année à notre vie, c’est d’ajouter de la vie à notre année ».
Louis Duret, Prêtre du Diocèse de Chambéry